Des dieux et des rois – et d’un tas d’autres choses

L’avantage, quand on visite plusieurs expositions en peu de temps c’est qu’on voit facilement des correspondances. Découvrant, à un jour de distance, « Les dieux d’Egypte » (RMO, Leyde) et « 80 ans de guerre ; la naissance d’une nation » (Rijksmuseum, Amsterdam), on constate que dans l’Egypte ancienne, le pharaon était considéré comme l’incarnation du dieu Horus et que dans l’Espagne du XVIe siècle, Philippe II estimait avoir été placé sur le trône par Dieu le Père lui-même (alors qu’en réalité, ce fut par son propre père, Charles Quint, tout ce qu’il y a d’humain ; l’empereur Charles Quint, avant d’abdiquer, avait scindé son empire en deux, l’empire Austro-allemand allant à son fils Ferdinand, l’Espagne et les Flandres à Philippe).

Des dieux, des rois et des rebelles

Buste de Philippe II, vitrail le montrant en prière

Dans l’Egypte comme dans le royaume de Philippe II, le pouvoir était donc inséparable de la religion et vice-versa. Mais à la différence de l’Egypte, où pendant des siècles, chaque ville avait ses dieux propres et où l’on se fichait pas mal des croyances des autres, le roi espagnol (en vérité, flamand-espagnol), très pieux et pas des plus flexibles, n’admettait pas qu’il y ait dans son royaume d’autre religion que celle de l’Eglise catholique romaine. Or, le XVIe siècle fut celui de Luther et de Calvin, et les deux faisaient d’autant plus facilement des disciples qu’il y avait décidément quelque chose de pourri dans le « royaume » du Pape. De Carcassonne à La Rochelle et d’Aix-en-Provence à Louvain, Anvers ou Maastricht, convertis ou sympathisants se multipliaient, sans compter tous ceux qui, sans se convertir, convenaient qu’il devait y avoir de la place pour tout le monde.

Philippe II ne l’entendait pas de cette oreille ‑ pas plus que, après la mort de Henri IV, le cardinal Richelieu en France, bien que des alliances curieuses se soient faites par la suite ‑ et une inquisition féroce, suivie par l’arrivée des troupes espagnoles, mettant les Flandres ‑ les Pays-Bas du Sud ‑ à feu et à sang, pour faire ensuite subir le même sort aux provinces du Nord qui s’étaient permis d’autoproclamer unilatéralem

Lucas de Heere : Philippe II en Salomon, avec Salomé personnifiant les Pays-Bas

ent leur indépendance.

Il faut dire que les « gueux », les troupes de choc du prince d’Orange, le leader rebelle, le leur rendaient bien, aux Espagnols, du moins dans la mesure du possible. Tout ça, ça vous sera expliqué très bien au Rijksmuseum, à l’aide de documents, d’objets, et d’œuvres d’art ‑ dont ce tableau représentant le roi Philippe sous les traits du roi Salomon

Première République d’Europe

Guillaume d’Orange, prince rebelle (Adriaen Thomasz Key)

C’est très intéressant. Mais en quoi ça vous concerne, me direz-vous ? Eh bien, c’est simple (si l’on veut) : les Hollandais protestants, en révolte contre leur suzerain espagnol, avaient conclu une alliance avec le cardinal Richelieu… qui, de son côté, était en guerre contre les protestants français en ligue avec les Anglais et retranchés à La Rochelle. Vous me suivez encore ? Quant au Philippe le très catholique, il fournissait des armes à ces mêmes protestants français se battant contre le cardinal rouge…Quelques décennies plus tard, les alliances étaient inversées, la Paix de Münster (1648) avait mis fin à la « guerre de 80 ans » opposant les Pays-Bas rebelles à l’Espagne colonisatrice, et Louis XIV envahissait les Pays-Bas, leur infligeant une défaite se soldant par la Paix de Nimègue (1672). Mais ça, c’est une autre histoire. Entretemps, les Pays-Bas étaient devenus la première République d’Europe, et riches grâce aux pays qu’ils avaient colonisés à leur tour…

Pharaon et Horus, roi et dieu

Retournons à nos Egyptiens. Le RMO, le très beau musée archéologique de Leiden (Leyde), nous les montrent dans toute leur splendeur, et dans leur relations mutuelles et familiales, au moins aussi compliquées et contradictoires que les alliances du XVIe siècle : Horus, dieu créateur, dieu suprême, dieu-pharaon, Osiris, son fils ressuscité après avoir été tué par son frère Seth (où ai-je vu ça encore ?), Isis, la femme d’Osiris, et tant d’autres. Le fratricide de Seth ne l’empêchera pas, d’ailleurs, de devenir dieu par la suite ; dieu des ténèbres, il est vrai, et dans cette qualité il régnera sur le monde des morts, gardé par des démons et d’autres figures mythiques.

Ce qui distingue cette exposition de tant d’autres sur un thème analogue, c’est que, d’une part, tout paraît clair, si compliqué que soit la constellation des dieux d’Egypte. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’impression d’avoir compris… Mais il est intéressant aussi qu’en plus, on montre le sort de ces dieux au cours du temps et dans d’autres cultu

L’égyptomanie des XVIIIe et XIXe s

res successives : des Grecs et des Romains conquérants (ayant « emprunté » quelques dieux aux Egyptiens) à Tintin et autres BD et films contemporains, en passant par les « égyptomanies » du XVIIIe et XIXe siècles (belle collection de Jean-Marcel Humbert, ancien conservateur général du Patrimoine, qui a publié aussi plusieurs ouvrages, notamment sur « l’Egyptomanie »). C’est une exposition qui plaira sûrement aux (grands) enfants (à partir de 10, 12 ans).

Ce ne sont pas les seules expositions à voir aux Pays-Bas, en ce moment. A celles que j’ai nommées dans mon blog précédent (et dans celui-ci), j’ajouterai encore (au moins):

 

Expositions à voir absolument :

  • Les dessins de Leonardo da Vinci (Musée Teylers, Haarlem). Extraordinaires, surtout quand on considère qu’en quelques traits de crayon ou de craie, le maître rend une expression subtile, un sourire à peine perceptible (eh oui, il n’y a pas que La Joconde…), ou au contraire un cri, une attitude combative… Et c’est d’autant plus remarquable que ce sont souvent de (tout) petits formats. Pourtant, tout y est. Déjà. En plus des dessin, quelques tableaux (le plus souvent sous forme de belle reproduction) et une salle tout entière consacrée à la Cène.
  • Madrid, 1936. © Chim (David Seymour), Magnum Photos.

    Les photos de David ‘Chim’ Seymour. Il y en a que vous connaissez : celles du temps du Front Populaire, certaines (La Pasionaria) de la guerre d’Espagne. Et certaines de la série de portraits d’enfants que David Seymour (1911-1956) a faite à la fin des années 1940, à la demande de la toute jeune UNESCO. Ils nous regardent, ces gosses, et impossible de lâcher leur regard. Des regards qui contiennent tant de choses, des regards parfois amusés (qu’est qu’il nous veut, ce photographe ?) mais qui contiennent aussi plein de souffrance. Des regards d’enfants qui ont mûri trop vite, trop tôt. Il est mort bêtement, David Seymour, ‘Chim’ avant la guerre (parce qu’en France, on ne savait pas prononcer son nom polonais de Szymen), tué par un tireur isolé à la fin du conflit du Canal de Suez. Lui qui avait échappé aux persécutions et à la mort déjà plus d’une fois… (Musée d’histoire juive, Amsterdam)

  • Alexej von Jawlensky, Tête de Femme, 1911. Gemeentemuseum, Den Haag.

    Les portraits d’Alexej von Jawlensky (1864‑1941), le copain de Wassily Kandinsky (1866‑1944) et comme lui, engagé dans le mouvement du « cavalier bleu» (Der blaue Reiter). Là encore, ce sont les yeux qui captent notre attention. De grands yeux qui sortent en quelque sorte de la toile, qui nous suivent à travers la salle. Des couleurs vives, des traits noirs délimitant les champs des couleurs. Il ne peignait pas que des portraits, Jawlensky, il y a aussi des paysages, notamment autour de Carantec, le village breton où il s’était rendu avec Kandinsky et leurs femmes respectives. Voilà, le mot est tombé ‑ car si Jawlensky, et surtout Kandinsky, sont devenus des noms connus, voire célèbres, il n’en est rien, ou beaucoup moins, de leurs compagnes ‑ et pourtant. Marianne von Werefkin (1860‑1938), la compagne de Jawlensky, et Gabriele Münter (1877‑1962), la femme de Kandinsky, étaient elles aussi des peintres de talent, et plus que ça : plus d’une fois, c’étaient elles qui avançaient une idée, un style, que plus tard leurs compagnons réclamaient comme étant les leurs… (Gemeentemuseum, La Haye).

  • Trois tableau d’Alida Pott, l’une des rares femmes peintres du groupe « La Charrue ».

    A voir absolument aussi ‑ et ça presse, car ça va se terminer le 4 novembre, les toiles de ‑ « De Ploeg » (« La Charrue »), le groupe d’avant-garde du Nord des années 1920. Vous verrez de beaux paysages expressionnistes, souvent hauts en couleurs, des (auto-)portraits aussi, vous ferez des découvertes. Cela vous permettra en même temps de découvrir une ville charmante, universitaire, différente de ce que vous trouverez dans l’Ouest. Une ville universitaire, industrielle aussi, mais de taille humaine. Je vous en reparlerai très, très prochainement, promis-juré. (Groninger Museum, Groningen).

Dans la catégorie : intéressante, à voir :

Autres expositions que j’ai aimées:

  • Les toiles de maîtres hollandais des châteaux britanniques (« National Trust », Mauritshuis, La Haye). C’est une petite exposition absolument charmante. Quelques perles, comme cette « Vue sur Dordrecht» d’Aelbert Cuyp, comme un Jan Steen, quelques Pieter de Hooch, un Rembrandt, quelques Ter Borch. Et en même temps, vous pouvez vous croire dans un de ces châteaux, dont certains nous sont familiers pour les avoir vus dans des feuilletons télévisés anglais ; l’un d’eux, au moins, a la réputation d’être hanté… Comme l’exposition n’est pas très grande, elle vous laisse le loisir d’aller admirer les trésors de la collection permanente du musée, ses Vermeer, le fameux chardonneret de Fabritius…
  • Gauguin et Laval à La Martinique (Musée Van Gogh, Amsterdam). Idem : l’exposition n’est pas bien grande non plus, mais il y a de belles toiles (et esquisses), aux couleurs proprement « tropicales ». J’avoue que je ne connaissais pas Charles Laval (1861‑1894), bien plus jeune que Paul Gauguin (1843‑1903) et de ce fait, souvent considéré comme son élève, ce qu’il n’était pas en réalité. Ils se sont connus en Bretagne, étant l’un et l’autre à la recherche de leur style personnel. Ensemble, ils ont échafaudé le projet d’aller découvrir La Martinique, et le 11 juin 1887, ils y débarquent. Gauguin n’y restera que quelques mois, il repart via le Panama. Laval, lui, y séjournera une petite année. Les deux peintres se retrouvent à Pont-Aven, mais leur amitié ne dure pas. Gauguin repart, à Tahiti cette fois (laissant sa femme et ses cinq enfants), ayant vendu son premier tableau à Théo Van Gogh. Qui sait si Charles Laval n’aurait pas fini par avoir autant de succès s’il avait vécu ? Malheureusement, il meurt à 33 ans. Cette exposition vous permettra d’admirer son talent.
  • Frans Hals et les modernes (Musée Frans Hals, Haarlem). Les « modernes » sont les peintre de la seconde moitié du XIXe siècle: Édouard Manet, Gustave Courbet, John Singer Sargent, Vincent Van Gogh, entre autres. « Hals, c’est un moderne », décréta le critique d’art influent Théophile Thoré-Bürger. Méprisé durant le XVIIIe siècle et le début du XIXe, à partir des années 1860, Hals devint un sujet d’admiration : on apprécia son style »détendu », ses gros coups de pinceau qui, vus de loin, pourtant, rendaient à la perfection la douceur du velours ou la dentelle toute fine. Certains (Manet, Courbet) ont carrément copié des œuvres de Hals, d’autres (Singer Sargent, Van Gogh) s’efforçaient de faire des portraits « dans le style de » : port du torse, barbe broussaillée, dentelle blanche sur velours noir, rire franc de gosse, et ainsi de suite. Jugez, comparez par vous-même, admirez en tout cas les œuvres présentées (dont certaines exceptionnellement en Europe).
    On peut acheter des tickets combinés pour cette exposition et celle des dessins de Léonardo da Vinci, au musée Teylers tout proche.
  • Moi, Marie de Gueldre. La duchesse et son extraordinaire Livre d’heures (Musée Het Valkhof, Nimègue). La duchesse de Gueldre, née Marie d’Harcourt (1380 ‑ 1427 ou plus tard), fille de Jean VI d’Harcourt et d’Aumale et de Catherine de Bourbon, cousine de Charles VI de Valois, de Louis Ier, duc d’Orléans et suzerain du duc de Gueldre, et cousine par alliance de Jean Ier de Berry. En 1405, Marie épouse Renaud IV, duc de Gueldre. De cette région sont originaires de grands peintres comme les frères Limbourg ou Jean Malouel (Johan Maelwael). Les premiers sont les auteurs, entre autres, des Belles Heures du Duc de Berry, ainsi que des Très Riches Heures du Duc de Berry. Le second, Johan Maelwael, devenu Jean Malouel en France, est devenu peintre de cour chez Philippe II de Bourgogne, dit le Hardi, et Jean Ier de Bourgogne, dit Jean sans Peur. Que Marie, élevée dans ces milieux-là, ait à son tour un très beau Livre d’Heures, ne doit guère étonner. Restauré, il est exposé au Valkhof (« La Cour des Faucons ») avec d’autres objets de la collection de Marie.

Et, encore une fois, n’oubliez pas ce dont je vous ai parlé ici et ici. Il y a le choix… Vous ne vous ennuierez pas pendant ces vacances de la Toussaint !

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.