
« IL est là ! » Martine Gosselink, directrice du musée Mauritshuis, rayonne. « IL est vraiment là ! Depuis son arrivée, je vais LE voir tous les matins – et je retournerai LE voir tous les jours tant qu’IL restera chez nous… »
C’est tout juste si elle ne dit pas : « Tant qu’il sera notre hôte… » En fait, il l’est, et c’est ainsi qu’on le traite, LUI, en hôte d’honneur – avec déférence, et avec joie.
« Lui » : Rembrandt, le Grand Rembrandt, le seul, l’unique. Pardonnez-moi si je deviens dithyrambique. Qui plus est, il n’est pas seul. Cet autoportrait de Rembrandt de 1658, est accompagné d’un Vermeer, d’un Hals, d’un Aelbert Cuyp, d’un Ruisdael, d’un Hobbema, d’un Van Ostade, et j’en passe. Une dizaine de maîtres en tout, prêtée par l’extraordinaire Frick Collection de New York, qui ne prête ses oeuvres quasiment jamais – sauf quand le musée est en travaux, comme c’est le cas actuellement.
Aelbert Cuyp, Vaches et berger au bord d’une rivière. 1650-1660 (ci-contre)


Oh ! Ce n’est pas comme si le Mauritshuis ne possédait pas des trésors lui-même. Ne nommons que « Vue de Delft » et la « Jeune fille à la perle », de Vermeer, « Le chardonneret » de Fabritius, ou cet autre autoportrait de Rembrandt, son tout dernier (1667), dont j’ai déjà dit tout le bien que j’en pensais lors de son bref séjour à l’Hermitage d’Amsterdam. Pour voir ces trésors-là, des visiteurs sont venus du bout du monde. Et il y a de quoi.



Pour nous autres Européens, quelle veine que de pouvoir regarder, à quelques centaines, voire quelques dizaines de kilomètres de chez soi, non seulement les trésors permanents du Mauritshuis, mais en plus des oeuvres de maîtres pour lequel il faudrait, en temps normal, traverser l’Atlantique. Voilà de quoi soulager notre morosité.
Regardez aussi ce « Portrait d’un homme » (env. 1660) de Frans Hals, voyez cette dentelle, ce velours noir du costume de l’homme représenté. L’attitude altière, le ventre en avant. Et un soupçon de sourire. « Me voilà ! » Regardez comme Hals l’a peinte, cette dentelle, juste quelques coups de pinceau, pareil pour le gant tenu à la main nue; mais ces quelques coups de pinceau rendent parfaitement la matière, la font toucher presque.


Et tenez, à l’autre bout de la salle, ce Vermeer. Que se passe-t-il ici ? Il y a un soldat, et il y a une jeune femme, assis à une table. Lui, on le voit de dos, la main posé sur la hanche, coiffé de son chapeau. On l’imagine beau parleur, dragueur même. La jeune femme, elle, on la voit de face, en pleine lumière. Elle boit du vin, elle a les joues rosies. Elle a mis une belle robe. Et elle arbore un de ces sourires…
Retournons à notre Rembrandt, qui nous regarde de loin. Allons-y lentement, en nous arrêtant le temps qu’il faut devant les paysages, les tableaux de genre, et qui sont autant de bandes dessinées, tant ils racontent. Regardons tout ce qui se passe au bord du cours d’eau que peint Ruisdael, voyons la scène devant l’auberge dans le tableau d’Isack Van Ostade (tableau qui, soit dit en passant, a fait partie de la collection de Joséphine de Beauharnais). Admirons le savoir-faire des disciples de Rembrandt (dont Carel van der Pluym).
Enfin, nous voilà de nouveau devant LUI. C’est un autoportrait de format imposant. Rembrandt s’est représenté en peintre, d’une époque révolue, comme il le faisait souvent, avec une touche d’exotisme. Son béret jette un peu d’ombre sur les yeux. Il porte un habit doré, une écharpe de brocart entoure les épaules. Bref, c’est le portrait d’un peintre célèbre, au regard d’un homme qui sait ce qu’il vaut, et néanmoins las, marqué par la vie, désabusé.

C’est que 1658 était une année difficile pour Rembrandt. Criblé de dettes, il avait vendu à peu près tout ce qu’il possédait – à sa belle maison près, et il savait qu’il devrait la vendre aussi. Mais il savait également ce que valait son talent – et ses tableaux. Et qu’il pouvait s’en sortir, fût-ce tant bien que mal.

Notez bien ce regard, qui dit tant de choses. Il nous suit partout, où que nous soyons dans cette salle. C’est le cas de tous les autoportraits de Rembrandt. Mais là, il semble que son regard nous retient encore plus que d’habitude, peut-être parce qu’il est si complexe, si profond.
Je ne suis pas directrice du Mauritshuis, je ne pourrai pas aller voir ce tableau tous les jours. Mais je sais que, tant que ce Rembrandt sera à La Haye, je retournerai LE voir très souvent.

L’exposition « Manhattan Masters » dure jusqu’au 15 janvier 2023.
Mauritshuis : Le plus beau musée de La Haye
Plein 29, 2511 CS Den Haag (La Haye), +31 70 302 3456, mail@mauritshuis.nl
Mardi – dimanche 12:00 – 18 :00, lundi 13 :00-18 :00.
[…] toujours aux Pays-Bas, à La Haye et environs, la Collection Frick au Mauritshuis (avec ces merveilleux Rembrandt et Vermeer ; je vous en ai parlé) ; Giuseppe Penone […]
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