Ce regard qui nous surprend

Un(e) artiste regarde son modèle. A l’œil nu, par l’objectif de l’appareil photo, ou bien dans une glace pour un autoportrait ? Que voit-il, que voit-elle ? Et comment le rend-elle, le rend-il ?
Ci-contre: Zanele Muholi, Nztozhake I, Parktown 2016. Prêt de longue durée.

Que voit-on ensuite sur la toile, le papier ? Comment se regarde-t-on ? Comment un artiste homme regarde-t-il un autre homme, comment voit-il une femme, et vice-versa ?

Ci-contre: Miriam Cahn, American Woman III, 1981.

Comment le modèle se présente-t-il ? L’air assuré, « me voila ! » , ou bien le regard détourné, timide ? Ou encore le modèle est-il trop absorbé dans une activité pour s’occuper de l’artiste, en apparence du moins ?

Il suffit de se poser ces questions pour se rendre compte que rien n’est moins vrai que l’assomption selon laquelle « un portrait est un portrait est un portrait »…

L’exposition qui se tient actuellement au Von der Heydt Museum à Wuppertal (à deux pas de la Belgique ou du Nord-Est de la France) est partie de ces questions. Et fait en sorte que le visiteur se les pose aussi.

L’inspiration a été fournie par un livre de Julia Kristeva, « Étrangers à nous-mêmes » (« Fremde sind wir uns selbst » en allemand). Mais heureusement, la commissaire à l’exposition, Anna Storm, ne s’est pas perdue dans les méandres de la pensée de Kristeva (que personnellement, j’avais du mal à suivre avant qu’elle n’arrive à la conclusion : l’étranger est en nous-mêmes). Anna Storm a simplement montré comment ces regards peuvent varier. Et étonner.

Dès la première salle, on nous met sous le nez à quel point ce sont les les différences de sexe, d’âge, et de classe sociale qui déterminent notre regard et se reflètent dans un portrait. Prenez celui, fort connu, de la petite fille qui porte la main à son cou, peinte par Paula Modersohn-Becker (1905). Le regard de la gamine crève « l’écran »,, à tel point que l’on s’étonne que le tableau soit si petit. Ce regard, candide, ingénu, retient le nôtre. Que voit-elle donc, cette petite fille, à quoi pense-t-elle, cette « Petite fille aux doigs écartés devant la poitrine » ?

Dans l’autre coin de la salle, là où sont représentés des hommes, comme ce portrait d’un homme en smoking, au papillon noir. Il nous fixe du regard, sans sourire – mais un coin des lèvres soulevé suggère de l’ironie, voire du cynisme. Une cigarette se balance nonchalemment entre les doigts de sa main gauche. « Je ne suis pas n’importe qui », semble-t-il dire.
Ci-contre : Portrait d’homme, « Herrenbildnis », par Heinrich Maria Davringhausen, 1922.

Ce ne soint que quelques exemples. Il y en a tant d’autres, et on pourrait aussi les mentionner simplement pour leur beauté ou pour l’émotion que suscitent ces portraits. Il y a plusieurs autres portraits de petites filles par Paula Modersohn-Becker, tous touchants; il y en a un très beau aussi par Edvard Munch, « Petite fille à la robe aux carreaux et au chapeau rouges », 1902/1903 (ci-contre). Il y a aussi ce portrait (1920, voir plus haut), par Emmy Klinker, d’une jeune femme fascinée par quelque chose qui se passe au loin, à tel point qu’elle ne remarque pas le canari qui s’est perché sur son épaule, et qui chante à tue-tête… Et puis, il y a des nus, debout, couchés, à l’air fier ou timide, au regard fixé sur le spectateur ou au contraire détourné… mais toujours, toujours des femmes.

L’artiste sud-africaine Zanele Muholi (née en 1972) tient une place spéciale dans l’exposition, tout comme Paula Modersohn-Becker. Militant(e) du mouvement LGBTI+ et se définissant comme « non-binaire », Muholi fait des (auto)portraits en noir et blanc, en jouant justement de ces contrastes. Elle/il fait des mises en scène où ses personnages – noirs, évidemment, et le regard braqué sur le spectacteur – portent du noir et blanc, ainsi que des « ornements » qui, à y regarder de près, sont des objets ménagers: un tuyau d’aspirateur, des éponges à récurer…. Ainsi, ils nous confrontent avec l’image « coloniale », « domestique » des Noir(e)s et nous rappellent un « passé » pas si passé…
Ci-contre : Zanele Muholi, ZaKi, Kyoto/Japan, 2017.

Bref, c’est une exposition impressionnante et passionnante, où il y a beaucoup, beaucoup à voir.

Von der Heydt Museum, Turmhof 8, D 43103 Wuppertal, Allemagne, T +49 202 563 2500. Ouvert du mardi au dimanche 11.00 h – 18.00 h (le jeudi jusqu’à 20.00 heures). Exposition « Fremde sind wir uns selbst. Bildnisse van Paula Modersohn-Becker bis Zanele Mohuli », jusqu’au 29 janvier 2023.

Un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.