
Amsterdam est en deuil. Nous venons de perdre notre bourgmestre bien aimé, Eberhard van der Laan. Tous, autant que nous sommes, nous avons versé une petite larme ‑ ou plus. Rarement, un maire a su se rendre autant aimé de « son peuple »… Non, le terme ne convient pas, nous étions ses concitoyens, ses amis, non son peuple. Il n’était pas « M. Van der Laan », il était « Eberhard .
Il conduisait ses enfants à l’école en vélo, il faisait ses courses au supermarché, il était accessible à tout le monde, et lorsqu’il invitait des journalistes pour un petit-déjeuner de travail, il le préparait lui-même. Il était simple et direct. Et passionné. Il se passionnait pour sa ville, et donnait tout pour elle, même malade. Jusqu’à être littéralement à bout de forces. Reposez en paix, Eberhard. On ne vous oubliera pas. Ni à Amsterdam, ni à Paris.
Mais Amsterdam, même si la pluie incessante souligne son chagrin, ne serait pas Amsterdam si à travers ses larmes, elle ne dévoilait pas aussi ses charmes, ses trésors, permanents ou temporaires. Quelle richesse! C’est fou ce qu’il y a à voir à Amsterdam en ce moment ‑ et aux Pays-Bas en général.Je présenterai ici une sélection, un survol de plusieurs expositions ou événements, et plus tard j’entrerai plus en détail.
Commençons par l’exposition la plus impressionnante, et la plus « hollandaise ». Je veux parler de « Hollandse Meesters uit de Hermitage » ou « Dutch Masters from the Hermitage) à la « dépendance » du grand musée de Saint-Pétersbourg, l’Hermitage Amsterdam,
Il y a là 63 toiles (dont 6 Rembrandts…) qui, pour la plupart ,depuis leur départ pour la Russie au XVIIe ou XVIIIe siècle (collectionnées surtout par Pierre le Grand et Catherine la Grande) n’ont plus jamais remis « les pieds » aux Pays-Bas, ou même ailleurs. Il fallait donc aller à Saint-Pétersbourg pour les voir. Et à présent, elles sont là, à portée de la main, dans le beau musée qui est le petit frère du « grand » Hermitage (avec quelque 1500 œuvres, l’un des plus riches en « maîtres hollandais »). En un mot : formidable ! Allez voir ça, et dépêchez-vous de prendre votre billet en ligne, car il va y avoir foule.

Quant aux élèves de Rembrandt, si plusieurs d’entre eux sont également exposés à l’Hermitage-sur-Amstel, deux autres expositions sont consacrées spécifiquement à deux d’entre eux : Ferdinand Bol et Govert Flinck. A partir du 13 octobre, leurs œuvres seront à voir aussi bien à l’Amsterdam Museum qu’à la Maison de Rembrandt, deux musées (l’un grand et divers, l’autre petit et intime) qui de toutes façons valent le coup.
Depuis début octobre, il y a aussi trois expositions fort différentes au Rijksmuseum, où « il se passe toujours quelque chose », pour paraphraser une vieille « pub » célèbre en son temps.
La plus importante, en tout cas par le nombre d’œuvres exposées, est celle de Matthijs Maris (1839 ‑ 1917). Les trois frères Maris étaient tous peintres . Mais l’aîné, Jacob (1837 ‑ 1899) et le cadet, Willem (1844 ‑ 1910), tous deux impressionnistes néerlandais (et faisant partie de « l’école de La Haye) sont les plus connus (le Gemeentemuseum de La Haye notamment possède pas mal de leurs œuvres).
Matthijs, coincé au milieu, pourrait-on dire, a eu d’abord du mal à trouver sa voie. Ne peindre que des paysages toute sa vie ne n’intéressait pas, les portraits le passionnaient au moins autant. Mais ce n’était guère la ressemblance qu’il recherchait. Ce qu’il voulait plutôt rendre, c’était la vie intérieure, la pensée du modèle. Si bien qu’à la fin de sa vie, ses portraits étaient devenus pour ainsi dire tout esprit… Que vous aimiez cette peinture évanescente, presque abstraite, ou que vous préfériez le Matthijs Maris romantique de ses débuts, cette expo est de toutes façons intéressante.
Juste à côté, au même étage, vous pourrez admirer un art complètement différent : celui, médiéval, de Johan Maelwael (Jean Malouel en français) et de quelques-uns de ses contemporains. Parmi ces derniers, les cousins de Malouel, les Frères de Limbourg, peintres et enlumineurs célèbres surtout pour leurs Livres d’Heures (dont plusieurs, très beaux, font partie de cette exposition). C’est Malouel qui les fait venir ses cousins en France, où il travaillait pour la reine Isabelle, avant de se mettre au service des ducs de Bourgogne, tandis que les frères Limbourg avaient pour commanditaires d’autres seigneurs, en particulier le duc du Berry. C’est sa « Grande Piéta Ronde » ‑ exceptionnellement sortie du Louvre ‑ qui forme la pièce maîtresse de cette belle petite exposition.
Un étage plus bas, au rez-de-chaussée, une autre exposition, petite aussi, impressionnante surtout. C’est une exposition de photos et elle s’intitule « Staatloos », « Apatride » en français. C’est la photographe Anouk Steketee qui a fait ce reportage, commandé par le Rijksmuseum. Les photos ‑ et peut-être plus encore les textes qui les accompagnent ‑ nous « interpellent », comme on dit maintenant. Les visages et les récits de ces exclus, ces « outsiders » font réfléchir. J’y reviendrai.
Autres « outsiders », les artistes dont les œuvres ont été décrites par Jean Dubuffet comme « Art brut » et qui ont, depuis à peine deux ans, leur propre musée (Outsider Art Museum) au centre d’Amsterdam, dans une aile de l’Hermitage. J’aime bien y aller, c’est un art qui me touche et qui dérange. L’exposition présente, « Les Nouveaux Maîtres » dérange peut-être encore un peu plus que d’habitude, vu que les œuvres d’art sont accompagnés de photos ‑ des portraits plus grands que nature, des artistes exposés. Ils dérangent, ces beaux portraits tirés par Sander Troelstra. Parce qu’ils ne montrent que trop en quoi les artistes sont… disons dérangés, pour aller vite. En en sens, j’aurais peut-être mieux aimé ne pas les voir, ces portraits, et pourtant ils fascinent. J’en reparlerai plus longuement, comme de toutes les expos mentionnées ici.
Autre exposition qui dérange, celle sur Ghandi, Martin Luther King et Nelson Mandela, encore des « outsiders », mais des géants, ceux-là. Des hommes qui ont changé le monde, sans aucun doute. L’exposition, dans la Nieuwe Kerk (Église Nouvelle), s’intitule « We Have A Dream ».

En effet, et quel rêve. Et avec quels effets… L’exposition dérange, parce que non seulement elle montre comment ces trois géants ‑ avant que leur importance ne soit reconnue ‑ étaient humiliés, tout comme leur peuple ou leur « race », en tout cas ceux de la même couleur, plus ou moins. Ghandi qui, avocat formé en Angleterre, s’était fait littéralement jeter d’un train en Afrique du Sud, parce qu’il voyageait en 1re classe (à nos yeux en toute légitimité, puisqu’il avait un billet valide). King, pour qui tout « basculait » lors de l’arrestation de Rosa Parks, qui ne voulait pas quitter la place du « blanc »qu’elle occupait dans le bus de Montgomery. Il s’ensuivit un boycott, par les Noirs, des transports publics de la ville, boycott qui a duré plus d’un an ‑ et qui fut couronné de succès : la Cour suprême donnait raison à Rosa Parks. Mais quel long chemin restait-il à parcourir… Même le fameux « I have a dream… » de King, prononcé huit ans plus tard et qui a lancé des ondes à travers le monde tout en « boostant » le mouvement pour les droits civiques, même ce fameux discours ‑ qui résonne à travers l’église comme il a dû résonner à Washington en 1963 ‑ n’est toujours pas devenu réalité. Et King a été assassiné, tout comme Ghandi. Quant à Mandela, il a vécu jusqu’à l’âge vénérable de 94 ans, mais il en a passé plus du quart en prison, et quelle prison… L’attitude de réconciliation qu’a montrée Nelson Mandela une fois élu président d’Afrique du Sud n’en a été que plus admirable. Il a ainsi pu paver le chemin d’une transition tant soit peu pacifique, évitant la guerre civile qui a déchiré tant d’autres pays africains. N’empêche que les traces laissées par l’apartheid en Afrique du Sud ne sont toujours pas effacées et qu’on peut se poser des questions face à la corruption des successeurs du grand homme. Tous sujets à réflexion…
D’autres exposition encore, à vol d’oiseau. Au Musée Van Gogh (à partir du 13 octobre) « Des néerlandais à Paris » : Jongkind, Van Dongen, et, évidemment, Van Gogh et Mondriaan, parmi d’autres. Cette expo sera complétée par celle de la Mesdag Collectie à La Haye, « Les peintres néerlandais à Barbizon »(à partir du 27 octobre). Il y a de quoi se réjouir d’avance.
Et, puisque je mentionne La Haye, il faut absolument rendre visite au Musée Voorlinden, musée d’art moderne créé il y a voilà un an dans la propriété du même nom. Ce musée privé est d’une beauté exceptionnelle, comme l’est d’ailleurs le jardin l’entourant. Depuis peu, il montre les œuvres d’un couple d’artistes américains, Shio Kusuka (d’origine japonaise, comme son nom l’indique) et Jonas Wood. Chacun d’eux fait de belles œuvres, qu’on peut admirer en tant que telles, indépendamment de ce que fait l’autre. Mais en fait, l’interaction entre les deux, l’inspiration mutuelle, ajoute une dimension. Le regard va de l’un à l’autre et vice-versa, et constamment on fait de nouvelles découvertes qui en appellent encore d’autres… Mais ce n’est pas la seule exposition temporaire de Voorlinden (qui a aussi une belle collection permanente), il y a aussi Michael Johansson et ses objets « récupérés », il y a l’expo « Tussentijd » (« Entretemps », jusqu’au 5 novembre), qui invite à introduire une pause, à prendre « son temps », à regarder…

J’en passe, et des meilleurs sans doute… Je passe sur le Gemeentemuseum et la Mauritshuis à La Haye, je passe sur De Fundatie à Zwolle, je passe sur Leyde et son exposition sur Nineveh au Musée des antiquités RMO, je passe sur Groningen et tant d´autres…
« Je passe sur, je passe… »
Non, ne passe pas, Jacqueline. Tout ce que tu écris est intéressant.
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Merci beaucoup! *Je rougis…*
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