Rodin à Mons

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Il en sera de même des putti et de l’œuvre de Michel-Ange qu’il étudiera au cours d’un long périple en Italie. Mais ce ne sera qu’à la fin de son séjour en Belgique, en 1877. Ne nous précipitons pas.

Ci-contre:  Idylle d’Ixelles, Rodin, 1884. ©Musée d’Ixelles.

C’est ce long séjour en Belgique – et les liens solides qui en ont résulté – que le musée CAP (Culture, Arts, Patrimoine) de Mons a pris comme point de départ pour une grande et belle exposition de l’oeuvre de Rodin, avec, en contrepoint, certaines oeuvres de Berlinde de Bruyckere (née 1964).

Représenté sur l’affiche: « L’Âge d’airain » (1877), initialiement appelé « Étude de corps nu ».

années de formation

Durant son séjour en Belgique, Rodin travaille, et il s’efforce de joindre les deux bouts, seul dans son atelier bruxellois – et parfois à l’extérieur, dans la Forêt de Soignes, tout près de là où il habite. Sa formation, il l’a faite à Paris, à la Petite École, où ses maîtres lui ont appris l’importance du dessin, comme du corps, à la base de toute sculpture. Il doit se passer de l’enseignement de l’École des Beaux-Arts de Paris, où il n’a pas été admis, en partie pour manque de classicisme. À Bruxelles, il apprend à travailler avec des modèles, encore et toujours partant du corps de ceux-ci, loin de toute idée de symbole ou de pensée abstraite.

Une des premières œuvres que Rodin exposera à Bruxelles, il l’intitulera d’abord « Étude de corps nu » (1877) – ce qu’à l’époque, ni le public, ni les critiques d’art n’ont compris. Comment ça, « Étude de corps nu » ? C’est le moulage d’un corps humain, ou quoi ? Telle était la rumeur, et Rodin en était vexé. Ben quoi, on ne me croit pas capable de rendre fidèlement un corps humain? Alors, il se met à faire des figures humaines nettement plus petites ou plus grandes que le corps humain. Quelques années plus tard, quand la sculpture « contestée » aura été rebaptisé « L’Âge d’airain », cela passera nettement mieux.

Ci-contre : « L’homme qui marche », grand modèle, 1907. PLusieurs années auparavant, Rodin en a fait un exemplaire plus petit que nature. © GrandPalaisRmn (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

« Pays que j’aime comme mon atelier de plein air » (Rodin sur la Belgique, 1906)

Mais déjà, des collectionneurs lui achètent des œuvres, et déjà, les premières commandes arrivent, et pas n’importe lesquelles: la ville de Calais lui demande de faire un monument pour les Bourgeois, et l’État français lui commande ce que devra devenir « La Porte de l’Enfer » – mais qui, en réalité, ne sera jamais achevée.

Rodin prend son temps pour les réaliser, et notamment « La Porte de l’Enfer », il le fera élément par élément. Il en réutilisera certains  dans d’autres contextes et d’autres matériaux – comme « Le Penseur » (1881-1882), initialement conçu comme « Le Poète ». Rodin avait Dante en tête, puisque pour « La Porte de l’Enfer » il s’inspirait de la Comédie divine. Mais pour lui donner un air intemporel et moins personnalisé, Rodin l’a déshabillé.

Quant aux « Bourgeois de Calais », Rodin ne veut pas faire un monument descriptif, comme il était d’usage jusqu’alors, mais à donner vie à ces bourgeois, chargés d’une mission capitale, et qui s’attendent, une fois la mission accomplie, à un sort terrible (auquel, finalement, ils échapperont). Rodin veut montrer les états successifs (crainte, désespoir, lassitude…) dans lesquels ces hommes se trouvent. Des émotions, donc, telles que le corps les exprime.

Entre-temps, il travaillera à d’autres œuvres, comme « Saint- Jean-Baptiste », ou « L’homme qui marche ». Celles-là aussi, il les reproduira sous des formes légèrement différentes. « L’homme qui marche » , par exemple, grandira au fur et à mesure. Quant à « Saint-Jean Baptiste », Rodin l’a fait d’abord en entier, pour ensuite modeler la tête coupée sous plusieurs formes.

dialogue

Rodin avait d’ailleurs l’idée  – empruntée aux sculptures grecques souvent retrouvées mutilée – qu’un corps accidenté ou incomplet était plus fort, plus expressif qu’un corps parfait. En ce sens-là, les œuvres de la grande sculptrice belge Berlinde de Bruyckere (née en 1964), « en dialogue » avec celles de Rodin dans cette exposition, s’accordent bien avec elles. Personnellement, si j’ai beaucoup d’estime pour l’oeuvre de Berlinde de Bruyckere, ses sculptures me font souvent plutôt froid dans le dos. C’est un goût personnel.

Ci-contre: Archangelos, de Berlinde de Bruyckere. Photo JW

art de la vue et art du toucher

Durant son séjour de six ans en Belgique, Rodin s’est aussi mis à peindre. Il a même peint beaucoup, des personnages, mais aussi des paysages. Habitant en lisière de la forêt de Soignes, il y faisait souvent de longues promenades avec sa compagne, Rose Beuret (qui le protégeait de son grand parapluie s’il pleuvait…), faisant des dessins d’après lesquels il faisait plus tard des peintures. De même, il allait fréquemment dans les musées admirer les tableaux des maîtres anciens – en particulier Rubens – dont il faisait plus tard des « copies »… de mémoire. Les historiens d’art semblent d’accord pour dire qu’en tant que peintre, Rodin n’avait rien d’extraordinaire. J’aime bien celles que j’ai vues – des peintures qu’on pourrait qualifier d’impressionnistes, mais qui ne révolutionnent pas la peinture. Par contre, ses dessins – que je ne connaissait pas – on peut les qualifier d’extraordinaires, eux. Et si sa « carrière » de peintre se soit limitée à sa période bruxelloise, dessiner, Rodin l’a fait toute sa vie, ne cessant de retravailler et de modifier des dessins antérieurs.

La référence à la peinture est devenu un élément naturel de sa vision : « l’art de la vue » que représente traditionnellement la peinture a affecté son « art du toucher » qu’est la sculpture.. (Antoinette Le Normand-Romain, co-commissaire à l’exposition)

Particulièrement fameux sont ses « dessins noirs », mais j’avoue que, personnellement, j’ai beaucoup admiré aussi les dessins auquels Rodin a ajouté de la couleur – dessins que, souvent, il continue de retravailler, même des années plus tard, et qui, parfois, donnent une impression de mouvement.

Femme assise, drapée de bleu, vers 1900-1903. Coll. privée. Photo JW.

amours

Il n’est pas très grand, le masque que Rodin a fait de Camille Claudel (1864-1943), son élève, jeune collaboratrice (il avait 24 ans de plus qu’elle) et, « bien entendu », amante, des années durant… Liaison tragique, surtout pour Camille, car le grand homme avait d’autres liaisons, et il était par ailleurs en ménage avec Rose Beuret, qu’il n’a épousée que quelques semaines avant le décès de Rose, et dix mois avant sa mort à lui. Ce n’est que fort tard que Camille a osé rompre définitivement avec celui qui fut son maître et qui, après la rupture, ne semble pas lui avoir facilité la vie ni le travail.

Ci-contre : Auguste Rodin, « La martyre », 1885-1899. Photo JW

Rodin, lui , ne s’est pas gêné pour s’approprier une bonne partie du travail de Camille, comme d’ailleurs il le faisait avec d’autres collaborateurs. Les pieds et les mains des « Bourgeois de Calais » ? Camille Claudel. Les marbres ? Certains sont de Camille Claudel. En outre, elle était aussi son modèle, pour « La Pensée », entre autres.

Ci-contre: Quelques (groupes de) sculptures devant faire partie de « La Porte de l’Enfer », dont « L’éternel printemps », au premier plan, sans doute en partie inspiré par l’idylle entre Rodin et Camille Claudel – qui y a peut-être aussi contribué. Photo JW.

Et voilà donc que, au détour d’une salle, on se retrouve face à face avec ce masque tragique – ce visage de Camille Claudel, endolori, las, qui vous regarde droit dans les yeux.
Ce masque, je le trouve à la fois choquant et émouvant – et admirable. Choquant parce que Rodin ne se gêne pas pour représenter une douleur intense que lui-même, sans doute, a causée. Et à notre corps défendant, on est admiratif devant l’art, le savoir-faire (et le savoir-regarder) de cet artiste immense. Savoir transmettre toutes ces émotions dans un masque de plâtre… Car cette figure profondément triste, malheureuse, et néanmoins belle, à laquelle on se trouve confronté, elle nous touche, nous émeut. Moi, du moins, elle m’a émue. Et je me dis qu’un type comme Auguste Rodin, on l’aurait sûrement « révoqué » à cette époque . Mais n’empêche : quel génie. Les êtres humains sont complexes…

Grosse femme accroupie à masque d’Iris, vers 1910. Photo JW

Vieillissant, Rodin fait des sculptures plus rugueuses, moins lisses, moins « belles » , comme sa « Grosse femme accroupie ». On aime ou on n’aime pas. Encore une fois, c’est personnel. Ça n’enlève rien à la puissance des oeuvres montrées.

Les bourgeois de Calais dans un jardin à proximité du musée et de l’hôtel de ville. Il s’agit de l’exemplaire provenant de Mariemont, un château-musée de la région, dont le propriétaire du temps de Rodin, le riche industriel Raoul Warocqué, avait pu obtenir un moulage.

Conclusion, l’exposition Rodin au CAP (Culture, Art, Patrimoine) de Mons est intéressante, elle donne à penser (et à voir, bien entendu!). Elle vaut certainement le détour, d’autant que Mons est une jolie ville – que, vu le style, j’appellerais flamande si elle n’était wallonne – située dans un paysage vallonnée, et offrant une richesse culturelle remarquable. Allez donc passer quelques jours en Wallonie, vous visiterez Bruxelles et ses nombreuses expositions, vous ferez un saut à la Fondation Folon, et en redescendant vers la France, le Luxembourg ou la Suisse, vous vous arrêterez à Mons, puis au château de Mariemont

Informations pratiques

Rodin, Une Renaissance moderne, jusqu’au 18 août 2024, au CAP de Mons. Rue Neuve, 8 – 7000 Mons. Tél: +32 (0)65 33 55 80 (tous les jours entre 9h30 et 17h30). Mail: polemuseal@ville.mons.be. Heures d’ouverture : du mardi au dimanche de 10h à 18h (dernière entrée : 17h). Prix d’entrée : Adultes (18 ans ou plus) €16 ; adultes avec enfants, séniors, personnes à besoins spécifiques, groupes) €12,-; 13-18 ans €2,-; moins de 13 ans, carte ICOM, PassMusées, presse : gratuit. Pour réserver, appuyez ici.

Pour en savoir plus : Émission Les regardeurs (France-Culture), avec Christine Chevillot, directrice du musée Rodin

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English summary

Rodin in Mons

Practical information

Did you know? The sculptor Auguste Rodin (1840-1917) spent his formative years (1871-1877) in Belgium. He lived and worked mainly in Brussels, but spent also much time visiting museums in other cities, like Antwerp, Gent, or Bruges. There, he discovered Rubens, whose work impressed him very much, like he would be impressed, later, by Michelangelo during his tour of Italy at the end of his stay in Belgium.

Shown here: A room in the Rodin exhibition in Mons, showing models of two of the burghers of Calais (left, Pierre de Wissant).

The big Rodin show in the pretty Belgian town Mons refers to these formative years of the sculptor in Belgium. He loved the country, he said later, and he stayed in touch with Belgium – and its collectioners and galleries – all his life. The exhibition isn’t limited to Rodin’s early work, it follows him throughout his life and career.

On the poster: « The Age of Bronze » (1877), the very first work Rodin showed in a gallery.

The first years were pretty hard, but after a while he started to show his work, and even to sell it. Next to – or preceding – his sculptural work, he made a lot of drawings. And during his Belgian years, he also painted. He stopped painting after he returned to France, but his drawings always remained important to him.

Shown here: Désert. Simon, entre 1896 et 1900. ©Musée Faure, Aix-les-Bains

Often, Rodin continued working on a drawing, even re-worked it years later, and sometimes changed the title. Even as a sculptor, his starting point was what he saw – not his idea of what he wanted to make. The human body was his model.

Shown here: Ugolin in prison, said also The Oak (1860 – 1880)

Of course, some of his masterpieces are here, like The Burghers of Calais (the group as a whole, from the nearby Mariemont estate, is outside, in a nearby garden), « The Thinker », and some of the other sculptures that are part of « The Gates of Hell ».

In the foreground: « Je suis belle » (« I am pretty »), before 1886. Châlons en Champagne, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie. Photo JW.

Rodin sometimes said that an imperfect, even damaged or crippled body had more beauty than a perfect one – referring to Greek sculptures, that more often than not were found in a less than perfect state.
In that way, the « dialogue » with the very much imperfect bodies of sculptress Berlinde de Bruyckere (b 1964) makes sense – though they are not always easy to look at.

Shown here: Berlinde de Bruyckere, Little body (« lijfje » – which also means vest).

Of course, there is a lot more to say about Auguste Rodin and his work. I should say: go and see it (and buy the interesting book that goes with the exhibition). And while you’re at it, spend a few days in nearby (50 kms) Brussels, where you have also a lot of art to see. And then, you might as well pay a visit to the Folon Fundation, then to the Mariemont estate (now a museum), despite their Burghers being temporarily moved to Mons.

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Practical information

Rodin, Une Renaissance moderne, until 18 August 2024, at the CAP museum in Mons. Rue Neuve, 8 – 7000 Mons. Tel: +32 (0)65 33 55 80 (9.30 am – 5.30 pm).
E-mail:  polemuseal@ville.mons.be.
Opening hours : Tuesdays to Sundays 10 am- 6 pm (last entry : 5 pm). Tickets : Adults (over 18) €16 ; adults with childresn, seniors, visitors with special needs, groups) €12,-; 13-18 years €2,-; under 13, ICOM Card, PassMusées, press : free. To reserve a time slot, click here.

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