Top
Amsterdam – Paris – Amsterdam
English summary : click here
La mémoire d’Amsterdam…

Je ne suis pas allée à la commémoration cette année. Aux Pays-Bas, c’est le 4 mai qu’on commémore les victimes du nazisme. Mais au lieu de déposer une rose et de m’incliner devant la petite statue d’Anne Frank, comme les autres années, j’étais au fond de mon lit en cuvant un covid-19, sans doute attrapé dans le métro parisien. Er j’ai regardé les commémorations à la télévision.

Pour la même raison, malheureusement, je n’ai pas pu déposer des fleurs au cimetière des alliés, et j’ai ignoré les festivités par lesquelles les Néerlandais célèbrent leur libération, le 5 mai – quelques jours avant la capitulation allemande, le 8 mai 1945. Bien sûr, ce n’était pas la fin de la guerre dans le monde, puisque les Japonais ne se sont rendus que le 15 août 1945, après les horribles bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Mais en Europe, c’était la paix. La liberté retrouvée. (Ci-contre : Dans un cimetière d’Amsterdam, les tombes des alliés – Britanniques, Canadiens, Australiens, Polonais, etc – morts pour ma liberté. Au premier plan : la stèle funéraire de Clarence Haggitt, Canadien, aviateur dans la RAF et ami de ma famille, mort le 7 septembre 1942, à 30 ans. Sa fille Anne avait tout juste 6 mois.)
Pour beaucoup de Juifs ou de Roms, même s’ils avaient survécu aux camps, ce n’était pas la fin des souffrances, loin de là. Espérant retrouver leur famille, leur maison, ils n’ont rencontré que froideur, voire hostilité, leur propriété spoliée. Plus d’une fois, des voisins s’étaient approprié leurs affaires, et soutenaient mordicus que, bien sûr, ce tapis, cette argenterie, voire cette maison, leur appartenait. Comment, ces revenants, ces pouilleux squelettiques osaient prétendre être les légitimes propriétaires ? M’enfin, quelle idée… (Ci-contre : On met régulièrement des fleurs au pied de cette petite statue d’Anne Frank (faite par la sculptrice Jet Schepp en 2005), placée devant l’appartement (37, Merwedeplein, Amsterdam), où elle vivait heureuse et en liberté avec sa famille. )


C’est arrivé aux voisins survivants (bien avant que je ne vienne habiter ici) quand, après la guerre, ils ont osé se pointer à leur appartement, en face du mien, là où, tout jeunes mariés, ils vivaient avec leurs (beaux-)parents, Simon et Sarah Vleeschhouwer, et leur (belle-)soeur Flora. Ces trois-là ne sont pas « rentrés du camp », comme on disait à l’époque. Comme si c’était une colonie de vacances… Et ceux qui s’étaient approprié leurs affaires ne se rappelaient pas que ce tapis, ces meubles, avaient appartenu à une autre famille…
J’ai fait la connaissance de la « jeune mariée » rescapée d’Auschwitz bien longtemps après, quand elle était devenue une très vieille dame. Elle était venue, avec sa fille et ses petits-enfants, pour faire poser des Stolpersteine devant chez nous, à la mémoire de ses beaux-parents et de sa belle-sœur. Comme elle en avait fait poser devant les demeures de ses parents, de ses grands-parents. Nous les avons reçus à bras ouverts, nous, les habitants actuels de l’immeuble, et elle nous a raconté son histoire.


Mais je vais un peu vite. Des Stolpersteine ? Qu’est-ce que c’est ? Littéralement, des « pavés qui font trébucher « . Des pavés de mémoire, comme on dit en français. De petits pavés en béton couvert d’une couche de laiton, portant le nom de la personne, sa date de naissance et celle de son assassinat, plus l’endroit – Sobibor, Auschwitz, Treblinka, Bergen-Belsen, le plus souvent. C’est une initiative de l’artiste allemand Gunter Demnig qui, depuis une trentaine d’années, pose ces pavés à travers l’Europe, quand on lui en fait la demande.
Et celle de Paris…
Des demandes, il y en a tellement qu’à présent, il y a une liste d’attente. Gunter Demnig et ses aides en ont posé quelque 85.000 déjà, en Allemagne, en Autriche, en Italie, aux Pays-Bas, en France… sauf à Munich… et à Paris. Pourquoi? Selon la mairie de Paris, ces pavés de mémoire « ne sont pas adaptées au travail de mémoire parisien. Les Juifs n’ont pas disparu de France, ils sont encore présents. Les Stolpersteine renvoient une image qui ne convient pas à la France où 75% des Juifs ont survécu. Par ailleurs, marquer d’un signe distinctif, au sol, les lieux où les juifs ont vécu ne nous convient pas, marcher sur ces pierres ne constitue pas un symbole acceptable. Pour toutes ces raisons, le Mémorial de la Shoah n’a jamais voulu s’associer à ce projet, et nous partageons pleinement ces arguments. »


Ainsi, la mairie de Paris ôte le choix aux survivants et à leurs descendants de commémorer au moins l’endroit où leur parent a vécu. Mais il y a deux exceptions. Deux pavés de mémoire, posés en terrain privé. L’une, la plus ancienne, se trouve au 24, rue Dauphine (75006), au ras de l’immeuble où se tient la galerie Perahia

Le second pavé de mémoire parisien vient d’être posé au 23, rue d’Enghien. (10e arrondissement), dans une cour privée. Ce pavé-là commémore Anna Schwartz (et indirectement son fiancé, Maurice Leibovici). Pour voir un compte-rendu de la belle cérémonie, cliquez ici. (Ci-contre : Gunter Demnig pose un pavé de mémoire au 23, rue d’Enghien, en présence de lycéens de Lycée Lamartine.)

… Retour à Amsterdam

Devant mon immeuble à moi, à Amsterdam, il y en a donc trois, de pavés de mémoire. Pour trois membres d’une même famille. Il aurait pu y en avoir vingt. Vingt personnes ont été déportées et tuées. pour un petit immeuble de 4 étages. Je ne sais pas combien cet immeuble comptait d’habitants en 1942, mais il ne devait pas y en avoir beaucoup plus de vingt, ce qui veut dire que presque tous sont morts en chambre à gaz. Parmi ces victimes, cinq enfants, de trois à quatorze ans. (Ci-contre : une autre famille Frank, quatre des vingt victimes – et deux des cinq enfants – que les nazis ont fait dans mon immeuble.)
Dans mon appartement, par exemple, une famille entière, père, mère, leur petite fille, et leur bonne, tous ont ététués. Je vais dire leurs noms : Elias Tal, 47 ans ; sa femme, Helena Tal, née Salomons, 40 ans ; leur fille, Serline Elisabeth Tal. Elle avait tout juste six ans quand on la tuée à Auschwitz. Quant à la quatrième personne, Sarah Irmgard (dite Irma) Cohen, née dans la région de Bonn vers la fin de la guerre de 14-18, elle était mariée à Jacobus Pekel. A-t-il survécu, lui, ou a-t-on simplement perdu sa trace ? Son nom manque dans la liste des victimes, du moins à cette adresse. Mais un autre s’y est ajouté après la rafle. Irma était enceinte et, au camp de transit Westerbork, elle a donné naissance à une fille, Marianne. Le bébé a vécu un an, un mois et trois jours. On a tué Marianne à Auschwitz, le 8 octobre 1944, le même jour que sa mère. Son image me hante, encore plus que celle des autres.
Back To Top – Retour en haut
English summary
About Anne Frank and all the others
Amsterdam – Paris – Amsterdam

Back from Paris, where I saw several beautiful art exhibitions, I fell ill with covid. Since then, I watch life go by on TV. There was The Coronation, of course, impressive, and especially nice to watch when you’re unwell and unable to do much anyway.
The day before, on 5 May, The Netherlands, where I live, celebrated our libération by the allied forces, 78 years earlier. And the day before that, we remember all those who were killed in a war, particularly World War II. And that Remembrance Day concerns both the victims of the nazis – Jews, Roms, homosexuals, etc – and those who gave their lives for our freedom.



Normally, on 4 May, I put flowers on Clarence Haggitt’s grave (and that of another RAF-pilot, Frank Huntley), and in the evening, I gather with many of my neighbours around the nearby sculpture of Anne Frank, just around the corner. It was made by Jet Schepp in 2005, and placed in front of the apartment building where she lived happily with her sister Margot and their parents, before they had to go into hiding.
This neighbourhood was new in the early 1930s, so this was where many Jewish refugees from Germany – like Otto Frank and his family – settled down. They formed about one third if the total population of this area. And most of them were deported to and killed in one of the extermination camps. My avenue is pretty long and so is the list of those who lived here in the 1930s and early 1940s aand who were killed by the nazis. From almost every building, people were deported, and most of them died, often killed right away when they arrived at Auschwitz or Sobibor.


In front of my apartment building are three Stolpersteine. These « stumbling stones » are small, square stones with a messing coating, bearing the inscription « Here lived… » followed by the name, date of birth, and, more often than not, place and date of death. The German artist Gunter Demnig started this project in the early 1990, at first as a clandestine action (in Berlin), but soon it was supported by many town councils and other organisations all over Europe. Today, in 2023, he posed some 85,000 of them, in 25 countries, from Norway to Italy.
He does it silently and quickly, exchanging hardly any words with those surrounding him, like we – the present day inhabitants of this small apartment building – did, surrounding also the survivor who ordered the stones. She, and old lady who was a very young newly-wed at the time of the razzia in 1942, came here to remember her parents-in-law, Simon and Sarah Vleeschhouwer, and their daughter Flora, all killed in Auschwitz in 1943. Only the young couple miraculously survived and was reunited after the war.


But when they came back, after long travels through a devastated Europe, to where they used to live, they found other people living in their apartment, among the furniture they had to leave behind – the new tenants pretending everything was theirs… Like so many of those who survived the camps – be it the nazi camps in Europe or those held by the Japanese in Asia – they mainly met coldness and indifférence at their return to The Netherlands. So we, the present-day neighbours, tried to surround them with all the warmth we had. In return, they told us their story.
Paris
Stolpersteine form a chain of individual memorials all over Europe. Only two cities have so far forbidden (yes!) these « stumbling stones ». Munich (!), and Paris. One of the (where Paris is concerned) many arguments is that people might trample the stones. And yes rhat does happen, but more odten than not, I see people bent over the stones, reading and reflecting on what they see. In both cities, there are movements (mostly of descendants of victims) trying to change this situation, in order to allow them to commemorate their loved ones as they feel appropriate. Paris so far has two Stolpersteine, both on private property. One on the doorstep of the Perahia art gallery (24, rue Dauphine, 75006 Paris), in remembrance of its founder, Victor Perahia. The other one , in a private yard (23, rue d’Enghien, 75010 Paris), to the memory of Anna Schwarz. Neighbours and pupils of the nearby lycée took part in the ceremony.



Back to Amsterdam

Back in Amsterdam, where hundreds of Stolpersteine commemorate as many victims of nazism. But they don’t cover the actual number of victims, far from it. On my doorstep, there could have been 20 stones instead of three. Twenty people killed by the nazis, all of them from one small apartment building. Fifteen adults, five children, ranging in age from three to fourteen years. And actually, we should add one more baby. In the apartment I live in, a family of three was taken. Elias Tal, the father (47), Helena Tal-Salomons (40), the mother, and their little daughter Serline – 6 years old when she was killed in Auschwitz. But there was someone else. Irma Pekel-Cohen (26), the nanny. Irma, married to Jacobus Pekel (who apparently survived) was pregnant when she was taken from her employers’ home. She gave birth to a daughter in the transit camp Westerbork. This little baby, Marianne, was killed in Auschwitz the same day as het mother, 8 Oktober 1943. She was one year, one month and three days old.

Children’s monument in Amsterdam (Sculptor : Truus Menger), next to the playground forbidden for Jewish children during the war, and one of the places where Jews were driven together before their deportation.
🖤🖤🖤
J’aimeAimé par 1 personne