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Quel rapport entre Louis Napoléon Bonaparte et un très beau livre qui traite à la fois de l’art culinaire et l’art tout court ? Je vais vous l’expliquer.
Il n’était pas un mauvais roi, Louis Bonaparte, dit Louis Napoléon, roi de Hollande. Il était même plutôt bon, se préoccupant en tout cas du sort de ses sujets – même un peu trop, au goût de son grand frère, qui, en 1810, l’a poussé à abdiquer le trône des Pays-Bas que l’empereur avait lui-même créé quatre ans auparavant.
Si court que fût son règne, les Néerlandais – ces républicains de longue date à qui on n’avait rien demandé – l’aimaient plutôt bien. Oh, on se moquait un peu de lui, mais gentiment. C’est que Louis Napoléon s’efforçait de parler la langue de ses sujets, ce qui était louable. Mais il s’achoppait sur la prononciation, notamment celle du mot « koning » (roi), qu’il prononçait comme le mot néerlandais « konijn » (lapin). « Je suis le lapin de Hollande… »
(Ci-contre: Louis Napoléon Bonaparte, roi de Hollande, par Charles Howard Hodges.)


Par ailleurs, on appréciait que le roi Louis s’efforçât de connaître « son » peuple et de le servir – à l’opposé de sa femme Hortense, qui ne pensait qu’à partir loin, loin, loin de ce pays plat, froid et (à ses yeux) peuplé de péquenots…
(Ci-contre: Hortense de Beauharnais Bonaparte, par Charles Howard Hodges)

Qu’est-ce qu’on lui doit, à Louis Napoléon, à part le code civil et le code pénal (ce qui n’est déjà pas si mal)? On lui doit l’assainissement des eaux, la laïcisation de l’enseignement public – et le refus d’introduire la conscription, contrairement au désir de son frère, qui avait besoin de chair à canon. La ville d’Amsterdam, elle, lui doit d’être devenue la capitale (eh oui, auparavant c’était La Haye) et de voir son hôtel de ville transformé en Palais Royal.

On lui doit aussi le Rijksmuseum, créé comme « Musée royal d’Amsterdam ». On lui doit aussi un « boost » des arts et des sciences – entre autres. Et on lui doit, indirectement, via Sven Chartier (Oiseau-Oiseau à Préau-du-Perche) une recette dans un superbe livre d’art – l’art tout court combiné à l’art culinaire.

C’est que Louis avait aussi le goût du luxe. Il voyait grand. En même temps, il désirait stimuler l’industrie de son pays d’adoption. C’est ainsi, faisant d’une pierre deux coups, qu’il a commandé, à un porcelainier d’Amsterdam, un service de mille (!) pièces à motif floral, dont une saucière à l’anse en forme de tête d’aigle. Laquelle saucière a abouti au musée Princessehof (Cour des princesses), musée spécialisé dans les céramiques et sis tout au nord des Pays-Bas, à Leeuwarden, chef-lieu de la Frise (et malgré tout à deux heures de train seulement d’Amsterdam).

Venons-en au temps présent, ou presque. Au Princessehof, il y avait une conservatrice, Karin Gaillard, qui avait de la suite dans les idées. Pour elle, depuis qu’elle en avait vu des exemples dans livre publié par un musée japonais, l’art de la porcelaine et l’art culinaire allaient ensemble. Et elle était convaincue que cette combinaison pouvait aboutir à un très beau livre.

L’idée, c’était de coupler de très belles pièces de la collection du musée à de très grands chefs cuisiniers. Il a fallu convaincre ses collègues, sa direction : oui, c’était faisable, oui, les pièces n’en souffriraient pas, etcetera, et ainsi de suite. Il a fallu trouver et convaincre un éditeur. Le plus facile, c’était de trouver des cuisiniers. Vous voulez des noms? Yotam Otrolenghi, Claudia Roden, Sven Chartier, et beaucoup d’autres à travers le monde, de Malmö à Tokyo. .

Plat imaginé par Yotam Ottolenghi pour un bol chinois du début du XVe siècle (époque Ming) : aubergine fumée, baharat et feta en papillotes.
Comment ont-ils travaillé ? Jean Beddington, la fameuse cheffe anglaise, a joué un rôle primordial dans la réalisation des recettes et leur transcription – car tous les chefs ne savent pas rédiger leurs recettes. Jean Beddington a fait en sorte que toutes les recettes soient faisables, même à la maison. Ensuite, elle a disposé les mets d’après les indications des chefs, et sous leur œil attentif, qu’ils se soient déplacés ou non (le livre s’est réalisé en partie durant la pandémie du covid).
Et les récipients ? N’ont-ils pas souffert ? Après tout, il s’agissait de pièces précieuses et souvent fragiles. » On a pris toutes les précautions, » affirme Karin Gaillard. « Avant d’y déposer la nourriture, on a recouvert les recipients d’un film protecteur invisible. Et dans un seul cas on a dû recourir à Photoshop, car la pièce était vraiment trop fragile. »

Il s’agissait d’un très beau bol persan du 14e siecle, pour lequel Claudia Roden a fait un plat approprié, Mismisya (poulet à la sauce abricots). « C’est très bon! » commente Karin Gaillard. « Et qui plus est, facile à faire ! » Je lui fais confiance, et encore plus à Claudia Roden, car pour avoir fait et refait avec succès nombre de ses recettes, je connais son savoir-faire. (Cette recette se retrouve dans d’autres livres de Claudia Roden, notamment dans « La cuisine juive« .)
Dernier détail : ce très beau livre a été publié en néerlandais, bien sûr, mais aussi en anglais. Le tirage est limité, tenez-vous le pour dit. (L’édition néerlandaise est épuisée, déjà. Et notez bien : je n’ai pas été rémunérée pour écrire ce blog et encore moins pour vendre le livre.)

Karin Gaillard et al : « Art and Cooking. Cookbook The Princessehof National Museum of Ceramics » . €57,45, frais de port inclus. Pour commander, cliquer ici
English summary
Those bowls were made for cooking…
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Once upon a time… there was a museum dedicated to ceramics, the Princessehof in the Dutch northern city of Leeuwarden. And once upon a time, there was a curator, Karin Gaillard, who couldn’t see a piece of ceramic without imagining food in it…
Ceramics have been made for thousands and thousands of years. Very early on, people made and used earthenware for their cooking and for storing food, as well as to religious ends. And even just for their sheer beauty – or their value. It was the Chinese who first discovered and perfected the art of making porcelain. Europe coveted these objects, and they went to great lengths to possess them – even attacking ships for the china they carried. European manufacturers tried very hard to imitate the Chinese porcelain. They didn’t actually succeed, yet they ended up producing interesting and beautiful objects that were worthwhile in themselves.
Of the millions of ceramics created during all those centuries throughout the world, many samples ended up in this pretty museum called « Princess’s court » ( Princessehof). It had the largest collection of Chinese porcelain in The Netherlands, and also beautiful specimens from other cultures – like the Middle East – as well as more recent work, up to new creations.
And then, as said, there was this curator, Karin Gaillard. Once she had seen, in a Japanese museum, a book containing photographs of beautiful ceramic objects carrying food, she couldn’t imagine the bowls, dishes, saucers, and so on, in her own museum without food.
And so, slowly but steadily, this idea of a cookbook came into shape. Karin Gaillard selected 45 objects from her museum – from a 9th century Chinese bowl to creations that came into being only a few years ago. And she asked a number of chefs, from London to Tokyo, some of them world famous, like Yotam Ottolenghi or Claudia Roden – to create a dish for one of these objects. British chef Jean Beddington checked all the recipes – and, when necessary, clarified or adapted them, besides creating some dishes herself.

Yotam Ottolenghi created a « Chinese » dish for a 14th century old Chinese bowl : Smoky aubergine, feta and baharat parcels. Photo Erik and Petra Hesmerg.
Of course, it was essential to protect and preserve these rare objects. That is why they were first covered in invisible plastic wrap before any food was put in them. Only one bowl was too fragile to actually contain any food at all, even covered in plastic wrap. That was a cobalt blue bowl, made between 1100 and 1300 in what is now Iran or Syria.

Kobalt blue ceramic bowl; Mesopotamia, 1100-1300 ; The technique was imitated from the Chinese, but these, in turn, imported the cobalt found in the region where this bowl was made. Photo Princessehof.
Claudia Roden made a delicious mismishiya (a Persian dish, chicken with an apricot sauce) for it. This dish was served in a white bowl, then photoshopped into the fragile blue one. In all the other cases, the actual piece was used
Much more recent than the blue Persian bowl – and less fragile – is the « Wave Bowl » (1880-1890), designed by the British ceramist Christopher Dresser (1834-1904). Jean Beddington created a vegetable and prawn tempura for it. Photo: Erik and Petra Hesmerg.

There are many, many more stories to tell. So read the book, or visit the exhibition that goed with it (in the musuem Princessehof, lof course, only a 2-hour train ride from Amsterdam).
The book, rightly called « Art and Cooking », provides (in over 400 pages) all the details about both the ceramics and the chefs – and, of course, the recipes. It is a marvelous book (and an excellent very-last-minute present, just in case. (And it’s in English…)

Karin Gaillard et al : « Art and Cooking. » Cookbook The Princessehof National Museum of Ceramics. €57,45. To order, click here