

Il pleuvait sans cesse sur Tilburg, ce jour-là. Un ciel de plomb, un froid de canard. Vu de l’extérieur, le musée De Pont – du nom du fondateur, sis dans une ancienne usine de textile – a un air assez rébarbatif, et par un temps aussi maussade, même le merveilleux Kapoor à l’entrée (à gauche, au fond, sur la photo) n’y peut rien. À l’intérieur, il fait soleil, bien que, Dieu merci, le temps ne soit pas toujours mauvais à Tilburg, loin de là
Summary en English: click here.
Justement, le temps, parlons-en. Non pas le temps qu’il fait, bon ou mauvais, mais le temps qui passe. Et qui change tout. Time changes everything. C’est un truisme, mais les truismes, ils ont du vrai, comme le mot l’indique d’ailleurs (en anglais ). Et l’on s’en aperçoit très vite, lorsqu’on entre dans l’exposition présente de De Pont et qui, comme par hasard, s’intitule ainsi. Time changes everything. Il s’agit de l’œuvre de l’artiste islandais Ragnar Kjartansson (1976).
Entrant dans le musée, vous entendez un son. Un accord de guitare en mi mineur. Il se répète. Et encore. Et encore. Vous vous rapprochez, vous voyez une clôture dorée, un rideau consistant en une multitude de lanières – dorées – qui enferment un espace rond. Et là, au milieu, une femme, en robe dorée, se tient sur un piédestal qui tourne. À intervalles réguliers, elle frappe cet accord en mi mineur. Au bout d’un moment, une autre femme, toujours en robe dorée, prend la relève. Et joue ce même accord. Et ainsi de suite…
Mais votre curiosité, attisée par ce son mystérieux, vous a fait brûler les étapes. Revenons sur nos pas. Les salles précédentes contiennent des oeuvres beaucoup plus « classiques », du moins en apparence : des aquarelles, des dessins. J’y reviendrai.

Dans les petites pièces qui longent la grande salle (les « cabinets à laine », où autrefois on travaillait la laine) vous voyez des rangées d’objets en céramique, qui ont la forme de salières ou de poivrières – tous semblables, tous portant une inscription : fear (crainte) ou guilt (culpabilité). Fear – guilt – fear – guilt – fear – guilt, répété quasiment à l’infini… À vous d’interpréter…
Revoyons maintenant ces dessins, ces peintures. Ceux sur les murs de la grande salle représentent tous une vue différente du mont Eldhraun, situé en Islande – vu de différents angles et à différentes saisons. Time changes everything… Dans une autre salle, il y a des carnets d’esquisses, ainsi que des dessins plutôt humoristiques, souvent avec une pointe tant soit peu politique.

La salle suivante content une série assez particulière : des portraits, toujours du même modèle masculin, toujours habillé seulement d’un slip de bain, faits pendant cinq mois, pour la biennale de Venise. On voit, à regarder ces peintures, qu’il fait chaud, que le modèle a chaud, de plus en plus chaud. On voit aussi qu’il s’embête. Plus ça va, plus il en a ras le bol. Il boit, il fume, de plus en plus, les bouteilles vides et les cendriers pleins s’entassent…. jusqu’au cataclysme final… Ah, ce temps qui passe, on le sent passer, de tableau en tableau… et en même temps (si j’ose dire), pour le modèle, il ne passe pas, ou beaucoup trop lentement.






A proximité, quelques vidéos sur le thème du temps qui passe (ou ne passe pas…), et vous croyez avoir tout vu? Détrompez-vous ! Il y a encore toute une aile du musée consacrée à des vidéos (ou des installations, ou des performances, comme vous voulez) de format XXL. En vous y rendant, vous passerez devant le café-restaurant du musée, Faites-y une pause. Ainsi requinqués, vous poursuivrez votre chemin… en vous arrêtant beaucoup, et probablement longtemps.
Je ne vais pas raconter ici toutes les installations. je me bornerai à en décrire deux.

Dans l’une des salles, vous verrez une série de vidéos montrant l’artiste avec sa mère, l’actrice islandaise Gudrún Ásmundsdóttir. Dans cette série, au nom bien approprié Me and My Mother, commencée il y a vingt ans, une seule scène, répétée tous les cinq ans: la mère crache – comme une chatte cracherait – au visage de son fils. Lui reste imperturbable. De vidéo en vidéo, on voit les deux personnages vieillir. Lui devient (plus) adulte, elle arrive au seuil de la vieillesse et finit par manquer de souffle. Kjartansson en parle comme d’un exercice hilarant, et en un sens, ça l’est. À force d’être inconfortable, ce Me and My Mother devient une farce…
L’autre vidéo, No Tomorrow (2017), est montrée dans une salle hexagonale, avec un écran sur chaque paroi. Elle met en scène huit danseuses, habillées toutes en blue jeans et baskets blancs, qui – sur une chorégraphie de Margrét Bjarnadóttir et une musique de Bryce Dessner – dansent et jouent de la guitare. Elles se déplacent d’écran en écran, comme on passerait d’une pièce à l’autre.
Ragnar Kjartansson, Margrét Bjarnadóttir & Bryce Dessner, No Tomorrow, 2017. Ballet with 8 guitars created for the Iceland Dance Company.
Croyez-moi, c’est fascinant.
Un conseil : prenez votre temps pour voir cette exposition, qui est beaucoup plus qu’une exposition. En termes d’aujourd’hui : c’est une expérience… mais alors pour de bon. Time Changes Everything…
Jusqu’au 29 janvier 2023.
Musée De Pont, du mardi au dimanche, 11–17 heures, le jeudi
jusqu’a 21 heures (gratuit à partir de 17 h)
Wilhelminapark 1
5041 EA Tilburg
T +31 13 – 543 8300
E info@depont.nl
www.depont.nl
Tilburg: ville industrielle du Sud des Pays-Bas, à proximité de la frontière belge. Autrefois, la ville était surtout connue pour son industrie du textile. Il y a d’ailleurs un Musée du textile tout près du Musée De Pont (Goirkestraat 96, 5046 GN Tilburg). On rejoint Tilburg facilement en train (le musée est à un petit quart d’heure de la gare à pied), ou en voiture (le musée a un parking).
Ragnar Kjartansson in De Pont – English
Time changes everything: the title of an exhibition of the works of the icelandic artist Ragnar Kjartansson.
Kjartansson (1976) is an icelandic artist not easy to define. He is a « regular « painter as well as a musician and a performance/video-artist, and he even makes ceramic work. Repetition is an important element in Kjartansson’s work, and so is time.

Dog and clock , from the series Scenes of Western Culture.
Another example of repetition. A whole wall in one big room shows several paintings of the same mountain in Iceland, Eldhraun, seen from different angles and at different times.


Another series of paintings, exhibited at the Venice Biennale (2009), shows the same male model in the same swimming outfit in the same room during five months… We see the temperature getting hotter and hotter, the model more and more bored and worn out, drinking and smoking more and more, until at the very end the empty bottles and full ashtrays all but fill the room.
A performance shows a woman, dressed in gold, in an enclosed space surrounded by « curtains » made of golden strips, striking a chord – E minor – on a guitar, over and over again, until another woman in gold takes over and repeats the same chord…. until another woman in gold takes over…

A video series, in which the artist himself acts as a performer, in company of his mother, the icelandic actress Gudrún Ásmundsdóttir (appropriately, the series is called Me and My Mother). The first video was made 20 years ago, followed by another one five years later, and so on. Each one shows the same act: the mother spitting (like a cat) at her son, who remains unmoved, and unmoving. Over and over again. From one video to another, we see the characters getting older and apparently, as far as the mother is concerned, more tired, losing her breath… Talking about these performances, Kjartansson called them hilarious, insisting he and his mother had a lot of fun making the videos. The scenes may make the spectator feel ill at ease at first, until the repetition turns the videos into slapstick.
Time, indeed, changes everything…
There is much more to see in this huge and fascinating in the Dutch mueum De Pont (Tilburg). Until January 29, 2023.
Wilhelminapark 1
5041 EA Tilburg, The Netherlands
T +31 13 – 543 8300
E info@depont.nl
[…] nouvelles, un vent nouveau. Quant au formidable vent nouveau de l’islandais Ragnar Kjartansson, je vous en ai […]
J’aimeJ’aime