Je ne sais pas si le nom de Jan Schoonhoven vous dit quelque chose. Non? Je m’en doutais. Cet artiste est connu, et même très recherché, dans les milieux des connaisseurs et collectionneurs d’art (moderne). C’est un des représentants du courant d’art appelé « Zéro ».
Zéro???
Nous y reviendrons. Je suis sûre que cela finira par vous évoquer quelque chose. Mais d’abord, prenons les choses par l’autre bout.
Delft
« La ruelle » de Vermeer La cour du Prinsenhof L’« Oude Delft », le canal principal de Delft Le long de « Oude Delft »
Jolie petite ville à mi-chemin entre La Haye et Rotterdam. Des canaux, une vieille église, des maisons anciennes, des « ruelles » semblables à celles de Vermeer, partout. Vermeer, en effet. Et Pieter de Hooch, fameux pour ses intérieurs, Van Mierevelt (qui fit le portrait de tous les grands de la Terre), et bien d’autres. Aux XVIe et XVIIe siècles, ça foisonnait d’artistes à Delft. Aux XXe et XXIe siècles aussi, d’ailleurs, et l’un de ces artistes était le nommé Schoonhoven.
Mais revenons à l’epoque de Vermeer. Dans ce temps-là, il y eut aussi Guillaume, dit Le Taciturne. Prince d’Orange et de Nassau, stadhouder (gouverneur) des Pays-Bas du Nord. Assassiné en 1584 par un certain Balthasar Gerards, qui le considérait comme un traître… parce que Guillaume, prenant le parti des protestants persécutés par Philippe II, roi d’Espagne, avait fini par s’opposer à son suzerain, déclenchant ainsi une guerre de libération qui durerait 80 ans. Et qui entraîna la création de la première république d’Europe: la République des Provinces Unies. Oui, vous avez bien lu: ce petit royaume au bord de la Mer du Nord est en fait la république la plus ancienne de ce vieux continent… Et en vérité, plus de trois cents ans plus tard, et plus de deux cents ans après la création du royaume (par les vainqueurs de Waterloo, Metternich et compagnie), les Pays-Bas sont toujours la monarchie la plus républicaine qui soit…
Mais je vous emmène bien loin.
Guillaume d’Orange, donc, tenait cour à Delft. Dans un ancien couvent (dédié à Sainte Agathe), converti en palais après la Réformation, la Prinsenhof ou Cour des Princes, actuellement un musée qui ne se contente pas de présenter l’histoire de ce beau bâtiment historique, mais qui possède aussi des collections d’objets et d’oeuvres d’art créés à Delft : la porcelaine, bien sûr (la fameuse porcelaine bleue de Delft…), mais aussi l’argenterie, et, de toute évidence, la peinture. Essentiellement celle des Maîtres de Delft susnommés.
Nous y voilà.
Jan Schoonhoven (1914-1994) est donc de ceux-là. Comme je l’ai écrit plus haut, en tant qu’artiste faisant partie du groupe Zéro, il est très prisé par les collectionneurs d’art. Le groupe Zéro a été fondé en 1957 à Düsseldorf, en Allemagne, par Heinz Mack et Otto Piene, mais s’est étendu rapidement à toute l’Europe, et même au-delà. En France, son représentant le plus connu était Yves Klein, en Belgique c’était Pol Bury, en Suisse Jean Tinguely et Daniel Spoerri, en Italie, où les artistes Zéro étaient assez nombreux, il y a eu, entre autres, Lucio Fontana, Pierre Manzoni et Eduarda Emilia Maino, mieux connue sous son nom d’artiste Dadamaino, une des très rares femmes du groupe, avec quelques artistes japonaises comme Atsuko Tanaka, Atsuko Tanaka ou Yayoi Kusama, sans doute la plus fameuse de toutes. Aux Pays-Bas, outre Jan Schoonhoven, c’était notamment Armando qui faisait partie du groupe.
Une cinquantaine d’années après les débuts du mouvement, des rétrospectives ont eu lieu, à Saint-Etienne (2006), à Paris (2013), et à Amsterdam (2015). Des fondations, des instituts dédiés au groupe Zéro ont été créés, des collections se sont constituées.
Qu’est-ce qu’ils voulaient, ces artistes-là ? Qu’est-ce qu’ils avaient en commun ? Essentiellement, le désir de renouveler l’art. De repartir à… zéro, justement, après l’horrible guerre qui avait laissé l’Europe décimée et en ruines. Ce n’est sans doute pas un hasard, si le groupe a pris naissance en Allemagne, et a été particulièrement fort en Italie et au Japon. Tout, au presque, était remis en question, certainement dans le domaine de l’art: des sujets aux matériaux, tout était chamboulé, comme le monde à ce moment-là.
Tous ces artistes, bien sûr, ont suivi leur propre chemin. Certains ont évolué vers l’art dit « pauvre », d’autres ont fini par se tourner vers l’art figuratif, et petit à petit, le groupe a cessé d’être un groupe.
Jan Schoonhoven, lui, a continué dans l’art abstrait, minimaliste. Du moins à première vue…
Pour comprendre son cheminement, il y a une oeuvre charnière : une oeuvre qui montre le passage de la peinture de ses premières années, figurative, et celle de ses dernières années. Entre les deux, il y a eu une période de dépression, où il était dans l’incapacité de travailler. Pendant ces longs mois, Schoonhoven construisait des châteaux pour son jeune fils. Des châteaux médiévaux en carton – matière dont peu chère il disposait facilement – avec des chevaliers, tout ce qu’on peut imaginer, très ingénieux. C’est vers la fin de cette même période qu’il a commencé à construire aussi quelque chose pour lui-même : une « Maison des apôtres » (« Apostelhuis » en néerlandais). Il faut dire qu’entretemps, lui, le communiste pur et dur, s’était converti au catholicisme. Or. cette « Maison des apôtres » , un miracle d’ingéniosité et de précision, qu’on a cru perdue, a été retrouvée en 2015. Elle était en mauvais état: le carton, imbibé de la fumée de tabac de son créateur, conservé n’importe comment, était bruni et déchiré par endroits. Il a fallu une restauration très méticuleuse par une grande spécialiste (Francien van Daalen) pour le rendre – autant que possible – à son état d’origine, ou quelque chose d’approximatif. Pour ce faire, la restauratrice a dû d’abord étudier le matériel, la façon de travailler de Jan Schoonhoven, l’ordre dans lequel il avait placé ses personnages… pour ensuite, avec une patience et une persévérance sans pareilles, replacer les éléments, réparer où c’était possible et laisser en l’état où ça ne l’était pas. Un travail de moine.
Mais elle a réussi, et la « Maison des apôtres » , acquise par le Musée Prinsenhof complétant ainsi sa collection des oeuvres de Schoonhoven, est actuellement exposée au musée, entourée de quelques-unes de ces oeuvres postérieures.
On peut se poser la question de savoir si cette « Maison des apôtres » est véritablement une oeuvre d’art. Les toiles qui l’entourent le sont sans aucun doute. Blanches – dans plusieurs teintes de blanc et de gris – comme toutes les oeuvres de Jan Schoonhoven « d’après », on y voit de prime abord rien que des figures géométriques. Mais à y regarder de près… ce sont des éléments de l’église qui fait face au musée. Des détails de son clocher, de sa toiture, de certaines fenêtres… Il faut le savoir pour le voir. Mais une fois qu’on le voit, on comprend pourquoi cette fameuse « Maison des apôtres » constitue une oeuvre charnière si importante. Elle fait, très exactement le lien, le passage, entre la période figurative de l’artiste, et la période « zéro » d’après. Et certains détails, qu’on retrouve sur les panneaux qui ornent les murs de cette salle, se retrouvent aussi dans la « Maison des apôtres » …
Et puis, tant qu’on y est, à regarder de près… on s’aperçoit que les « toiles » ne sont pas des toiles. Ce sont des reliefs en carton ondulé et en papier mâché, collés sur un fond de triplex.
Allez voir ça, c’est très intéressant. Et tant que vous y êtes, visitez donc aussi la partie historique du musée (avec les impacts des balles qui tuèrent Guillaume d’Orange), l’eglise dite « wallonne » (où les protestants français et « belges » réfugiés ici après la révocation de l’Edit de Nantes suivaient l’office)… et. si vous avez le temps, la galerie de portraits faits par les maîtres de Delft du XVIIe siècle… ou bien la collection de porcelaines… Ou bien allez vous prélasser dans le beau jardin…
Bref, ça vaut le coup. Je dirais même que ça vaut le détour.
Jusqu’au 10 octobre 2021.
Museum Prinsenhof Delft
Sint Agathaplein 1
2611 HR Delft
(015) 260 23 58
https://prinsenhof-delft.nl
info-prinsenhof@delft.nl
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