Catherine la grandissime

Vigilius Eriksen: Portrait de Catherine II devant un miroir, c. 1763 Huile sur toile. © State Hermitage Museum, St Petersburg
Vigilius Eriksen:
Portrait de Catherine II devant un miroir, c. 1763
© State Hermitage Museum, St Petersburg

 

« Ci-gît Catherine II, née en Stettin le 21 avril 1729. Elle partit en Russie pour épouser Pierre III. A l’âge de 14 ans, elle forma le triple objectif de plaire à son mari, à Elisabeth et à la nation. Elle n’oubliait rien qui puisse l’aider à réaliser ce but. Dix-huit années d’ennui et de solitude l’amenèrent à lire beaucoup de livres. Accédant au trône, elle souhaitait le bien du pays et cherchait à apporter à ses sujets bonheur, liberté et propriété. Elle pardonnait facilement et ne haïssait personne. Indulgente, facile au contact, gaie par nature, doté d’un esprit républicain et d’un bon cœur, elle avait des amis. Le travail lui était léger, elle adorait rencontrer des gens et elle aimait les arts. »

Voilà le portrait, à la fois modeste et immodeste, qu’elle faisait d’elle-même, Catherine, dans une « épitaphe », qu’elle rédigea à la veille de ses 50 ans, quand elle avait encore 17 ans devant elle, et qu’elle était au faîte de sa gloire. Elle ne mentionne pas sa grandeur, son immense pouvoir, sa clairvoyance politique ni ses conquêtes militaires ou encore la splendeur de sa cour et l’importance de ses collections artistiques. Elle ne fait pas, ici, la comparaison avec Pierre Le Grand, pourtant sa référence et son modèle, à qui elle vouait un véritable culte. En revanche, elle n’hésite pas à se décrire comme une bonne monarque, une reine clémente, une personne généreuse et cultivée et elle se garde bien de mentionner la main de fer que pouvait cacher aussi le gant de velours qu’elle aimait bien présenter… Elle était capable de réprimer durement une révolte, comme elle était sûrement complice des assassins de son mari, détrôné et dégradé par ses soins…

Pas de doute: Catherine était quelqu’un. Et ce, dès le début, malgré ses origines relativement modestes.

C’est justement à cause de ses origines – la basse noblesse appauvrie du Duché de Poméranie – que la tsarine Elisabeth avait, pour celle qui devait devenir Catherine, choisi la vague cousine Sophie – Sophia Auguste Frederika von Anhalt-Zerbst – pour épouser son neveu, le falot Pierre, désigné comme successeur au trône de Russie par sa tante et né Karl Peter Ulrich von Holstein-Gottorp, fils de la sœur d’Elisabeth et petit-fils de Pierre Ier, le Grand.

Le prince Potemkine, par Baptist Lampi, © State Hermitage Museum, St Petersburg
Le prince Potemkine, par Baptist Lampi, © State Hermitage Museum, St Petersburg

Vu ses origines, Sophie serait facile à tenir en laisse, se disait Elisabeth qui par mesure de sécurité faisait tout pour garder la petite dans cet état de soumission. La tsarine ne s’était peut-être pas assez bien renseignée. La mère de Sophie considérait sa fille aînée comme une rebelle (et laide de surcroît), qu’il fallait mater et marier le plus vite possible. Mais déjà, Sophie s’instruisait en cachette, en lisant Corneille, Racine et Molière, aidée et stimulée en cela par sa préceptrice. Devenue Catherine, elle continuera à lire et à s’instruire au cours de ce mariage-catastrophe, que l’on a dit non consommé – bien qu’un fils – Paul – en soit né. Pas de conception immaculée pourtant ; on murmure qu’en réalité, Paul était le fils du premier amant de Catherine, qui en avait douze au total dont l’un, le prince Potemkine, a même fini comme son époux morganatique.

Buste du jeune Voltaire, par Marie-Anne Collot, , 1770–80 © State Hermitage Museum, St Petersburg
Buste du jeune Voltaire, par Marie-Anne Collot, , 1770–80
© State Hermitage Museum, St Petersburg

Mais elle n’en était pas là quand, toute jeune pubère, elle est arrivée à la cour de la tsarine à Saint-Pétersbourg. C’est vrai que pendant de longues années, elle s’y ennuyait horriblement, quand elle n’était pas humiliée, traitée comme une moins que rien. Elle se consolait en lisant. Elle lisait Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, mais aussi Platon et Cicéron, elle dévorait les livres d’histoire, s’intéressait aux beaux-arts et s’instruisait dans ce domaine-là aussi. Si bien que, quand finalement la tsarine Elisabeth a rendu l’âme, Catherine s’était construit un bagage intellectuel considérable. Et elle connaissait l’histoire russe comme l’histoire de l’Europe sur le bout des doigts. Elle correspondait même avec ses auteurs préférés, si toutefois la tsarine n’interceptait pas le courrier…

Et elle savait ce qu’elle voulait : le pouvoir. Et sans son imbécile de mari, qui de toutes façons ne s’était jamais intéressé à elle et qui – bête comme il l’était – s’impatientait ouvertement à attendre la mort de sa grosse tante et qui ne cachait pas sa joie quand elle est arrivée. Catherine, elle, a su montrer tout le respect dû à la tsarine, dont elle a veillé le corps après sa mort et pour qui elle a porté le deuil.

Lucas Conrad Pfanzelt: Portrait du Tsar PierreIII, 1761 © State Hermitage Museum, St Petersburg
Lucas Conrad Pfanzelt:
Portrait du Tsar Pierre III, 1761
© State Hermitage Museum, St Petersburg

Catherine a laissé Pierre sur le trône pendant quelques mois. Puis, elle l’a fait emprisonner, l’a fait renoncer au trône et à son mariage et l’a banni – sans sa maîtresse préférée, que pourtant il réclamait. Le pauvre Pierre n’a guère eu le temps de s’habituer à la nouvelle situation. Trois semaines après son abdication forcée, il a été tué par des proches de Catherine – qui ne pouvait qu’être au courant.

Rétrospectivement, il paraît curieux que ce « coup d’Etat » soit passé comme une lettre à la poste. Mais en fait, Catherine était déjà très populaire, et Pierre, pas du tout. De plus, il avait négligé de se faire couronner à Moscou, considérant que, la cour étant à Saint-Pétersbourg, cela n’avait pas d’importance. Mais cela en avait, et Catherine le savait. En conséquence, elle a fait en sorte d’être couronnée dans les deux mois après son accession au trône. Le joaillier qui reçut la commande pour l’immense couronne (qui depuis a servi à tous les couronnements de tsars russes, jusqu’à celui de Nicolas II) avait du pain sur la planche… (Cette couronne-là ne quitte jamais l’Hermitage de Saint-Pétersbourg, mais en 2012, pour fêter les 250 ans de l’accession de Catherine la Grande au trône de Russie, une réplique – sertie de plus de 11.000 diamants – a été faite ; celle-ci est actuellement à l’Hermitage d’Amsterdam.)

Réplique de la couronne impériale de Catherine, Smolensk, 2012 © State Hermitage Museum, St Petersburg
Réplique de la couronne impériale de Catherine, Smolensk, 2012 © State Hermitage Museum, St Petersburg

En 34 ans de règne, depuis 1762 jusqu’à sa mort en 1796, Catherine a régné en despote éclairée. Elle a agrandi la Russie, grâce à ses guerres victorieuses contre la Suède, la Prusse de Frédéric le Grand – à qui pourtant elle tendit la main dès que la paix était conclue – et surtout l’Empire Ottomane, contre lequel elle a même fait deux guerres. Elle a annexé la Crimée, une grande partie de la Pologne (qu’elle s’est partagée avec la Prusse et l’Empire d’Autriche), et les pays baltiques, entre autres. Mais elle n’a jamais réussi à conquérir la Grèce ni Constantinople, capitale de l’ancienne Byzance, que pourtant elle destinait l’un et l’autre à ses petits-fils adorés, Alexandre et Constantin

Elle recevait ses écrivains favoris à la cour, elle aimait discuter avec eux. Elle aimait leurs idées – mais en tant que souverain, elle ne les appliquait pas. Quand Diderot lui en a fait la remarque, elle aurait répondu (d’après le Comte de Ségur, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg):

« Monsieur Diderot, j’ai écouté avec grand plaisir tout ce que votre grand esprit vous a inspiré ; mais tous vos grands principes, que je comprends très bien, sont parfaits pour faire de bons livres, mais terribles à mettre en pratique. Dans tous vos projets de réforme, vous oubliez la différence de nos positions : vous, vous travaillez sur le papier, qui s’accommode de tout – il est uniforme, souple, ne présentant d’obstacles ni à votre imagination, ni à votre plume ; tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur la peau humaine, qui est très différente, irritable et chatouilleuse. »

Il est vrai qu’elle avait amorcé des réformes, allant dans le sens, sinon d’une démocratisation, du moins d’une abolition du féodalisme. Mais la puissante noblesse terrienne s’y opposait avec férocité. Catherine a vite renoncé à ses projets, estimant que l’aristocratie de son pays était arriérée, mais qu’elle ne pouvait se permettre de se mettre la noblesse à dos. En fait, sous son règne, le féodalisme loin de disparaître, s’étendit, des paysans jusque-là libres devenant serfs.

Tabatière avec la devise Utile, Johann Gotlieb Scharff, 1780 © State Hermitage Museum, St Petersburg
Tabatière © State Hermitage Museum, St Petersburg

Dans le domaine des arts et des lettres, il était beaucoup plus facile d’être une monarque libérale, éclairée. D’autant plus que Catherine avait compris que les arts puissent contribuer à la gloire de la Russie, et à son rayonnement à elle. Entourée de conseillers fins connaisseurs et judicieux, elle épatait toute l’Europe en achetant des œuvres d’art à droite et à gauche, par l’intermédiaire de marchands fiables dans différents pays. Ainsi, à Berlin, elle raflait une belle collection de tableaux sous le nez de Frédéric le Grand… qui était dans la dèche à cause des guerres avec… la Russie. Il ne lui en voulait pas, apparemment. A Amsterdam, elle achetait des Rembrandt et des Teniers. Elle acquérait des Boucher, des Greuze, des Van Dyck, des bustes de Voltaire et de Rousseau par Houdon, Louise Elisabeth Vigée Lebrun venait faire le portrait de l’impératrice, Richard Brompton celui de ses petits-fils… Elle avait une superbe collections de camées et d’autres beaux objets, et réussit à obtenir la bibliothèque de Voltaire comme celle de Diderot.

Bref, c’est Catherine qui a constitué le début de la collection de l’Hermitage. Et toute l’Europe l’en enviait…

Jusqu’au 15 janvier 2017. L’Hermitage, Amstel 51, Amsterdam.

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2 commentaires

    • Excusez-moi, je vous prie, j’avais bien pris des renseignements pour pouvoir vous répondre, mais ensuite, j’ai eu des ennuis de santé et du coup, j’ai complètement oublié… Enfin, vous aviez deviné la réponse, je suppose… Elle est négative, hélas. Toutes les pièces en provenance de l’Hermitage de Saint-Pétersbourg ont été retournés là-bas. En général, les expositions de l’Hermitage Amsterdam ne voyagent pas, parce qu’elles sont faites, ‘en symbiose’ en quelque sorte, avec la ‘maison mère’ de Saint-Pétersbourg.

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