
Au départ, je n’étais pas particulièrement une fan d’Amy Winehouse (1983 – 2011), je l’avoue.
Comme chanteuse, je la connaissais à peine – bien que les rares fois que j’ai entendu sa voix, j’étais impressionnée. Cependant, l’exposition qui lui est consacrée m’a touchée. Elle montre la chanteuse dans son intimité, sa vulnérabilité, ses côtés enfantins aussi – mais en même temps, on voit son humour et sa lucidité, ainsi que son ambition considérable. Et on entend – dans un film inédit – sa voix, cette voix extraordinaire, souple, étonnante de maturité. Ciel, quel gâchis que cette mort prématurée !
Cette exposition Amy Winehouse, composée par son frère Alex Winehouse pour le Jewish Museum de Londres, contient surtout des effets personnels de la chanteuse : ses disques préférés, certaines robes, son uniforme scolaire, des livres qu’elle lisait, des lettres et des notes écrites par elle. Et des photos en masse: des snapshots, des photos de famille, des photos d’école – le tout bourré dans une valise.
Après Londres, San Francisco, et Vienne, l’expo se trouve maintenant au JHM (Joods Historisch Museum, Musée d’Histoire Juive) d’Amsterdam. Avec un atout nouveau et de taille : un film, découvert récemment, sur sa performance au North Sea Jazz Festival de Rotterdam, où Amy Winehouse – qui venait tout juste de sortir son premier album, Frank – se produisit en 2004, son premier tour de chant au Pays-Bas.
La direction de ce festival l’annonçait comme « une voix à la sonorité crue qui par moments fait penser à celle de Lauryn Hill, voire Billy Holliday ». Non, affirmait l’annonce, « malgré ses vingt ans, [cette chanteuse] montre bien plus de talents que l’habituel éphémère des hit-parades. »
Pour moi, ce film était une révélation. Effectivement, je ne connaissais guère Amy Winehouse, étant d’une autre génération et, de surcroît, écoutant surtout de la musique classique. Et puis, les rares nouvelles la concernant qui me parvenaient, avaient surtout à voir avec son abus de drogue et d’alcool. Bien sûr, sa mort prématurée, en 2011, était choquante, pour tout le monde. Mais en même temps, on avait tellement entendu parler de sa déchéance, que l’overdose paraissait une conséquence logique. Triste, mais logique. D’autant qu’elle avait 27 ans, âge fatidique, semble-t-il, dans le milieu de la musique pop/rock.
N’empêche. Quelle voix ! et quel gâchis…
C’était cette voix, justement, qui faisait qu’elle n’était pas tout à fait une petite fille juive comme tant d’autres dans ce quartier des faubourgs nord de Londres. Dans une lettre où elle demande à être admise à la Sylvia Young Theatre School, elle écrit :
On m’a dit que je suis dotée d’une très belle voix et je suppose que c’est la faute à mon père. Mais contrairement à lui et à sa famille, je veux faire quelque choses avec ces talents que je suis « bénie » d’avoir.
Mais avant de vanter sa voix (à juste titre d’ailleurs), elle prévient :
Toute ma vie j’ai été bruyante, au point qu’on me dise de la fermer. L’unique raison que j’avais de faire autant de bruit, c’est que dans ma famille, il faut hurler pour qu’on vous entende. Ma famille ? Oui, vous lisez correctement. Du côté de ma mère, ils sont tout à fait bien, du côté de mon père, ça chante, ça danse, ça fait de la musique, c’est exubérant.
Et elle avertit encore :
Je devrais dire que toute ma vie scolaire et tous mes carnets de notes ont été remplis de « pourrait faire mieux » et « ne travaille pas autant qu’elle pourrait ».
Et en effet… Au cours Sylvia Young, cela ne se passera pas mieux… Elle s’ennuie en classe, elle fait autre chose (comme composer une liste de ses chansons préférées de tout temps… liste qui sera confisquée, mais conservée par la suite…), elle chahute.
Pourtant, on l’a acceptée. Peut-être parce qu’elle avait annoncé la couleur d’une façon aussi désarmante qu’irrésistible.
Je veux aller quelque part où je serais étirée jusqu’à mes limites et peut-être au-delà. Chanter dans les cours sans qu’on me dise de me taire (à condition que ce soient des cours de chant). Mais surtout j’ai ce rêve de devenir très célèbre. De travailler sur scène. C’est une ambition que j’ai eue toute ma vie. Je veux que les gens entendent ma voix et oublient leurs soucis pendant cinq minutes. Je veux qu’on se souvienne de moi comme actrice, comme chanteuse, qu’on se souvienne de moi chantant à guichets fermés, donnant des shows à guichets fermés au West-End et à Broadway, et étant juste moi.

C’est naïf, c’est charmant, c’est mégalomane – et pourtant elle a vu juste. Elle est désarmante dans sa candeur. Pourtant, elle a aussi dû être exaspérante, par moments. Comme son père, trop présent, dominant, pesant, comme toute sa famille paternelle, exaspérante d’exubérance. Elle le dit elle-même dans cette simple phrase : « Il fallait hurler pour se faire entendre. »
C’est un portrait de cette famille juive londonienne que le frère Alex a voulu nous donner, plutôt qu’un portrait de sa sœur. Cette famille dysfonctionnelle mais chaleureuse et unie, d’après ce que j’ai vu, cette famille donc, qui sans doute a dû « hurler pour se faire entendre » depuis des générations, depuis la Biélorussie de leurs origines. Et Alex a voulu qu’on regarde en arrière, jusqu’à l’arrivée, dans l’East End londonien, de l’aïeul qui, fuyant les pogroms, s’établit au pays de la reine Victoria, dans l’espoir « d’y trouver un endroit pour être en sécurité, heureux, et prospère ». Et il réussit, ce Weinhaus qui devient Winehouse, il s’intègre, s’assimile et (c’est toujours Alex qui parle) « contribue à former ce pays qui a offert un abri aux âmes perdues fuyant la persécution et les pogroms dans le vieux pays »:
« Ce n’est pas l’histoire d’une seule personne ou même d’une seule famille, c’est l’histoire de nous tous, de Londres à Cape Town, à New York ou à Tel Aviv. »
Sans cette histoire, on ne comprendrait pas Amy Winehouse.
L’exposition est au JHM jusqu’au 4 septembre 2016. Le musée organise plusieurs événements autour de l’exposition, dont la projection du documentaire « Amy » (le dimanche 10 avril à 14 h 30), le fameux film de 2015 qui a gagné un Oscar.
Un autre documentaire, fait par la BBC, sera programmé le 3 juillet (14 h 30 ). Et on peut voir en permanence la vidéo tournée au North Sea Jazz Festival de 2004, quand Amy Winehouse s’y est produite pour la première fois.

Et tant que vous êtes au JHM, allez donc voir (peut-être après un casse-croûte, ou juste un thé, au très agréable café du musée) la belle exposition sur deux créateurs néerlandais, le couturier Max Heijmans (1918 – 1997) et le styliste et graphiste Benno Premsela (1920-1997). Deux garçons juifs doués et originaux, qui ont survécu à l’occupation et se sont ensuite accrochés pour arriver là où ils voulaient arriver.

Max Heijmans, de son temps, était « le » couturier du pays. L’exposition montre quelques-unes de ses créations – robes, ensembles et chapeaux – dont certaines seraient encore très portables aujourd’hui.
Quant à Benno Premsela, non content de se faire un nom international comme styliste de mobilier, il est également monté sur les barricades pour émanciper les homosexuels et sortir l’homosexualité de l’ombre. Deux hommes très différents et semblables à la fois, dont les chemins se sont souvent croisés.