

Son œuvre est un paradoxe. A première vue, pour qui regarde superficiellement, distraitement, ses tableaux peuvent paraître froids, géométriques. Des carrés, des rectangles monochromes. Pourtant, certains spectateurs de ces œuvres ont éclaté en sanglots. D’autres – dont moi-même – ont éprouvé une sensation de bonheur intense à contempler les ‘esquisses’ Seagram, ou celles destinées à la chapelle Rothko à Houston. C’est que ce ne sont jamais des formes géométriques simples – et surtout, surtout, le monochrome n’est pas monochrome. Jamais. Plus on regarde, et plus on décèle des nuances, des couleurs différentes, des formes même dans les couches de peinture. Chez Rothko, le noir n’est jamais noir, le rouge jamais rouge. Et c’est ce qui le rend si fascinant. Relativement peu de ses œuvres sont exposées en Europe, et les expositions temporaires sont assez rares aussi. La dernière, à ma connaissance, avant celle qui se tient à présent au Gemeentemuseum à La Haye, était celle – magnifique – qui, en 2008 – 2009, s’est tenue d’abord à Hambourg et ensuite à Tate Modern à Londres. Celle de La Haye en diffère en ce sens qu’elle montre aussi les œuvres de jeunesse du peintre américain, beaucoup moins connues du grand public. Cela permet de voir les étapes qu’il a franchi avant d’en arriver à la phase la plus connue, celle des grands monochromes, souvent qualifiée ‘d’expressionnisme abstrait’ – terme qu’il a d’ailleurs toujours récusé avec véhémence.

Mark Rothko (1903-1970), naît comme Marcus Rothkowitz à Dvinsk (aujourd’hui Daugavpils, en Lettonie). Il a dix ans quand sa famille émigre vers les Etats-Unis et s’établit à Portland (Oregon), où le père l’avait précédée de quelques années . Cette ville dans l’Ouest restera toute sa vie une base familiale vers laquelle Rothko retournera régulièrement, bien que, dès qu’il aura son baccalauréat en poche, il s’en va pour faire des études, d’abord à Yale pour laquelle il a obtenu une bourse, ensuite – sans terminer ses études à Yale – à New York.

Il a du mal à trouver son chemin et ne se tourne vers l’art qu’assez tardivement, à vingt ans passés. Et là aussi, il cherche d’abord son style. On le voit tour à tour expressionniste, cubiste, surréaliste… On peut lui découvrir des parentés avec Schiele, Léger, voire Miró… et d’autres encore. Et finalement, entre la fin des années 40 et le début des années 50, quand il a changé son nom en Mark Rothko, ses toiles ne montrent plus que des carrés ou des rectangles de couleur. Et plus ça va, plus le monochrome-non-monochrome s’impose. Plus ça va, plus on doit se donner du mal – et du temps ! – pour distinguer les autres couleurs, les formes sous la couleur dominante – généralement le rouge ou le noir.

Il ne se rendait pas la vie facile, Rothko, et il ne rendait pas la vie facile aux autres. Il fallait que ses toiles soient suspendues très bas, d’une manière très précise, et surtout pas autrement. Si on ne respectait pas ses consignes, il se mettait en colère, au point même d’annuler ou de refuser une exposition. Il lui est arrivé aussi de rompre ses contacts avec une galerie après que celle-ci ait organisé une exposition d’art ‘pop’, qu’il détestait. ‘Au fond, Rothko s’est brouillé avec pas mal de gens,’ reconnaît Henk van Os, historien d’art en ancien directeur du Rijksmuseum (Amsterdam), qui l’a fréquenté dans la dernière période de sa vie. C’est même Van Os qui avait rendez-vous avec Rothko le jour où celui-ci s’est suicidé – laissant une toile toute rouge sur son chevalet et ayant fait prévenir son ami par un message urgent qu’il ne le trouverait plus vivant… A ce moment-là, le peintre était déjà en bien mauvais point, au physique comme au moral, dépressif, alcoolique, très malade, ayant survécu (si l’on peut dire) un aneurisme et souffrant d’un emphysème pulmonaire. Mais il était à l’apogée de son art, qu’il refusait de voir comme ‘abstrait’. Et encore moins comme ‘expressionniste’, alors qu’il y exprimait bien des choses, des émotions, un sens du sacré. Oui, peindre, pour lui, était un acte presque sacré. En fait, il peignait ce qu’il ressentait, ses douleurs, ses convictions, une certaine exaltation peut-être. Et ce sont ces émotions que ressent également le spectateur qui s’y ouvre. Ne me demandez pas comment. Allez-y, tout simplement. Regardez. Laissez-vous ‘envelopper’, comme le souhaitait l’artiste.
Vaut le détour ? Non, vaut le voyage !

Mark Rothko. Rétrospective, Gemeentemuseum Den Haag, Stadhouderslaan 41, La Haye, http://www.gemeentemuseum.nl/. Une cinquantaine d’oeuvres de Mark Rothko, certaines juxtaposées avec des oeuvres de Mondriaan (voir plus haut). Jusqu’au 1er mars 2015. Une salle est consacré à la Chapelle Rothko, avec un film documentaire et la musique de Morton Feldman toutes les heures. Le catalogue, en néerlandais ou en anglais, est très beau. (Page 2: Rothko et Mondriaan )
Perplexe….devant tant de couleur…
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