Chanel

 

Coco Chanel
Coco Chanel, 1935. © Man Ray Trust / ADAGP, c/o Pictoright Amsterdam 2013

C’est à Paris qu’on s’attendrait à trouver cette exposition: 11 salles consacrées à Chanel, à sa vie, à ses amours, à sa carrière, mais avant tout à sa maison de couture, ses modèles, ses robes, « petites » et « noires » ou non, ses tailleurs si caractéristiques, ses bijoux – et bien entendu son parfum, le Chanel numéro 5.

Mais c’est ni au Musée des Arts Décoratifs, ni au Palais Galliéra qu’on trouve tout cela réuni. Non, l’exposition Chanel et sa légende vient de s’ouvrir au Gemeentemuseum de La Haye, aux Pays-Bas- bien que plusieurs pièces proviennent des collections des musées français, comme d’autres musées da la mode. Et c’est une joie que de voir tout toutes ces pièces réunies, et de pouvoir contempler de près ces modèles, ces étoffes magnifiques, ces bijoux. Qu’ils soient des vrais Chanel ou non. Car si un couturier a été imité souvent, c’est bien Chanel. Et contrairement à la plupart de ses confrères et consoeurs, elle s’en fichait. Au contraire, elle disait s’en réjouir. Selon une de ses fameuses citations, « la mode est faite pour être portée dans la rue, sinon ce n’est pas la mode. »

Et effectivement, la mode Chanel était portée dans la rue – toutes les élégantes des années 50 et 60 du siècle passée s’enorgueillaient d’avoir leur tailleur Chanel – au besoin, en le faisant soi-même. Quant au fameux sac matelassé et à bandoulière, il est toujours aussi populaire. Le parfum… n’en parlons même pas. De toutes manières, Coco Chanel était bien tranquille que personne ne pouvait égaler la qualité qu’elle fournissait, ni la touche personnelle qui caractérisait les vêtements sortant du 31, rue Cambon à Paris, où la maison de couture est établie depuis 1919.

Chanel en 1937
Coco Chanel, 1937, Photo: Boris Lipnitzki, c/oPictoright

Gabrielle « Coco » Chanel (1883 – 1971) était bien une légende, comme le souligne le titre de l’exposition. Et sa vie était entourée de bien des légendes, qu’elles soient fabriquées par elle-même ou par d’autres. Elle était née le 19 août 1883, dans un milieu relativement modeste. Après la mort de sa mère, son père, marchant ambulant, l’envoya, elle et ses deux soeurs, chez les bonnes soeurs à Aubazine (Corrèze), où elle apprit, entre autres, la couture et la broderie. Ensuite, elle a travaillé comme couturière à Moulins (Allier), où elle se produisait le soir comme chanteuse au café à soldats La Rotonde. C’est là qu’elle a pris le surnom de Coco.

C’est quand Gabrielle est devenu la maîtresse d’un homme riche, Etienne Balsan, qu’elle a saisi sa chance. Elle a commencé à fabriquer des chapeaux, simples et sobres, en rien semblables au « pigeons morts » (ce fut son expression) que les femmes portaient sur la tête au début du XXe siècle. Un autre amant, Arthur Capel,  lui a procuré les moyens de s’acheter une boutique rue Cambon à Paris. C’est là qu’elle a commencé à bâtir ce qui est devenu un empire. Plus tard, cet homme devait lui dire: « Je croyais t’offrir un passe-temps; je t’ai offert l’indépendance. » Elle lui a remboursé toute sa « dette ». Là, elle était vraiment indépendante. Lui, il a épousé une autre femme, bien entendu – tout en la conservant comme maîtresse. Chanel en était blessée, mais elle a accepté. Il était le grand amour de sa vie. Quelque temps après, Capel s’est tué au volant de sa voiture.

Broche, Robert Goossens pour Chanel 1950-1960
Broche, Robert Goossens pour Chanel 1950-1960, Photo: Christin Losta, coll. part. Bruxelles, Draiflessen Coll. Mettingen, c/o Pictoright

Son histoire « rags to riches », comme on dit en anglais, autrement dit son ascension sociale, elle la devait largement à ses amants et elle n’en faisait pas de secret. Elle paraît même avoir recommandé cette voie à d’autres, disant: « Elles sont jolies, pourquoi ne prennent-elles pas un amant?». Et des amants, elle en a compté dans sa vie – à défaut de mari. Elle a été la maîtresse des plus hauts aristocrates d’Europe, qu’il s’agisse de noblesse de sang, de noblesse d’argent ou de noblesse artistique – parmi ses amants, se rangent aussi bien un duc de Westminster que le compositeur Igor Stravinsky. Mais elle n’était pas « de celles qu’on épouse », comme l’a fait remarquer le conservateur de cette exposition, Madelief Hohé. De toutes manières, elle a porté son épithète « Mademoiselle » avec orgueil. Pas question de l’appeler « Madame ».

Ce n’est pas – contrairement à ce qu’elle a prétendu plus tard – Coco Chanel qui a inventé la mode sans corset, souple, quelque peu androgyne. Mais elle a parfait ce genre de vêtements, s’assurant toujours que l’on pouvait bouger les bras, marcher, bref vivre dans ses créations. De plus, elle a introduit des tissus qui n’étaient pas considérées « nobles » mais qui, en revanche, étaient confortables à porter – comme le jersey, jusque-là utilisé essentiellement pour des sous-vêtements masculins, ou le tweed, cantonné jusque-là surtout aux vêtements « de loisirs » anglais. Bien sûr, Chanel les a modifiés un peu, ces tissus. Et elle a bien dû sentir l’air du temps, car elle a eu tout de suite du succès. Les aristocrates comme les stars accoururent rue Cambon, d’abord dans la petite boutique du 21, ensuite – quand elle a pu s’agrandir – au 31, où la maison Chanel se trouve jusqu’à ce jour.

Chanel numéro 5
Chanel No 5, Flacon Ernest Beaux (parfum), Gabrielle Chanel (flacon), 1921

C’est en 1921 qu’elle a introduit son parfum, le «numéro 5 » parce que ce chiffre était pour elle un porte-bonheur, et créé pour la Maison Chanel par le parfumeur Ernest Beaux, à partir de senteurs de fleurs cueillies dans les environs de Grasse – évidemment.

Et puis, il y eut ses bijoux fantaisie, « parce qu’une femme n’a jamais assez de bijoux » et que ces bijoux n’ont pas besoin d’être composés de pierres précieuses pour « paraître» précieux. Les bijoux fantaisie sont devenus des éléments essentiels des tenues Chanel – ainsi, ses robes changeait au fur et à mesure que leurs porteuses changeaient de bijoux. La promotion de ces bijoux fantaisie n’a d’ailleurs pas empêché Chanel de créer également des bijoux composés de vrais diamants, à la demande de la Guilde internationale du Diamant. C’était en 1932, les temps étaient incertains et le diamant, nous assurait Coco Chanel, était un bon investissement. Ce qui était sûrement vrai, à condition de pouvoir se permettre d’en acheter. Mais cela valait pour tous les produits de haute couture.

Quand la Seconde Guerre Mondiale a éclaté, Chanel a fermé boutique. Mais sa fréquentation d’officiers allemands au cours de l’Occupation, sans doute par souci de préserver son statut social dûrement acquis, a au contraire précipité sa chute dès la Libération. Chanel s’est réfugiée en Suisse, où elle est restée une dizaine d’années, loin de toute « société ». En 1954, le New Look de Christian Dior l’a – dit-on – tellement enragée qu’elle est revenue à Paris et qu’elle a repris son bâton de pèlerin de la mode. Comment, Dior osait faire des jupes qui absorbaient des mètres  de tissu, alors que l’austérité régnait? (Entre parenthèses, cet argument me rappelle celui de Françoise Giroud, nommée secrétaire d’État aux affaire féminines par Valéry Giscard d’Estaing, fraîchement élu président en 1974; de nouveau, on était dans une période d’austérité – et l’un des premiers actes de Giroud en tant que ministre fut de faire un appel aux couturiers et autres stylistes, afin de créer des vêtements utilisant moins de tissu…)

Veste de tailleur Chanel 1963/64
Veste de tailleur Chanel 1963/64, Photo: Christin Losta, Coll. ROM, Toronto, Canada, Draiflessen Coll. Mettingen, c/o Pictoright

Bref, Chanel s’est mise à recréer du Chanel – et bien que la presse parisienne criait haro sur le baudet (Chanel se répétait, disait-on), les Américaines ont accouru. Chanel a su renouveler son succès – et les Françaises ont fini par suivre. Elle avait 71 ans… Parmi ses clientes, les baronnes de Rothschild comme Marlene Dietrich, Romy Schneider comme la princesse Paola de Belgique. Et Marilyn Monroe, on le sait, est censé avoir prononcé ces mots de légende: « Ce que je porte au lit? Juste quelques gouttes de Chanel numéro 5… »

Sac Chanel
Sac Chanel, 1995, Photo: Christin Losta, Collection Gemeentemuseum Den Haag, Draiflessen Collection, Mettingen, Beeldrecht Pictoright

C’est ensuite que Chanel a créé son faneux sac à bandoulière, matelassé, plein de poches et facile a porter. Encore une fois, c’étaient ses propres besoins qui l’inspiraient: elle en avait marre de porter un sac à main, qui la gênait. Alors, elle a pris une chaîne, une de ces nombreuses chaînes qu’elle utilisait partout, jusque dans la doublure de ses vestes (pour les faire tenir), et elle l’a attachée au sac pour pouvoir le porter sur l’épaule, libérant ainsi les mains. Le sac à bandoulière était né.

Tailleur Chanel par Lagerfeld
Tailleur Chanel par Lagerfeld, 1991, Photo: Christin Losta, Coll. Gemeentemuseum, Draiflessen Coll. Mettingen, c/o Pictoright

 

De 1954 jusqu’en janvier 1971, Chanel a continué à diriger sa maison de couture, et à la faire prospérer. Elle est morte sur le tas, juste avant les collections, âgée de 87 ans. D’autres ont pris la relève. Mais il a fallu attendre que Karl Lagerfeld reprenne le flambeau, en 1983, pour que la maison Chanel redevienne la maison Chanel. Bien sûr, les modèles créés par Lagerfeld ont évolué par rapport à ceux de « Mademoiselle ». Si Coco Chanel créait rarement des tailleurs à pantalon (mais elle en créait tout de même), chez Lagerfeld on trouve même un tailleur à short… Ceci dit, on reconnaît Chanel, dans les tissus souples, les tweeds, les soies, les bords gansés. Nous sommes en 2013. La maison Chanel a 103 ans et elle se porte bien.

 

 

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Chanel – de legende. Exposition au Gemeentemuseum, Stadhouderslaan 41, La Haye. Jusqu’au 2 février 2014.  Plus tard, elle ouvrira à Hambourg, au musée des arts décoratifs, Museum für Kunst und Gewerbe. Avant La Haye, l’exposition s’est tenue dans la petite ville allemande de Mettingen (entre Osnabrück et Bad Bentheim, non loin de Münster, en Rhénanie du Nord-Westphallie), dans la belle galerie au nom curieux de Draiflessen Collection. La base est constituée par la collection de la famille Brenninkmeyer – ceux de C&A. Outre le Musée de la mode de Paris (Palais Galliéra), y ont contribué les musées de la mode belges de Hasselt et d’Anvers et le Royal Ontario Museum à Toronto, Canada.

 

Un commentaire

  1. J’ai encore oublié de dire qu’il y a une salle pour les enfants, avec des vêtements « Chanel » à leur taille, des planches à colorier, et surtout les images d’un adorable petit livre pour enfants sur, justement, la vie de Chanel. Malheureusement, le texte est en néerlandais et il n’y a pas de projets pour le faire traduire (pour le moment; quand l’exposition ouvrira à Hambourg, je suppose que le livre sortira en allemand…). Un texte anglais (avec des erreurs) est disponible. Mais on peut toujours admirer les dessins.
    Annemarie van Haeringen: Coco of het kleine zwarte jurkje (Coco ou la petite robe noire). Ed. Leopold/Gemeentemuseum Den Haag, 2013.
    L’atelier d’enfants est ouvert aux enfants à partir de 5 ans, tous les dimanches de 12.00 à 16.00 heures.

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