Mieux vaut tard que jamais. Ce que je vais décrire ici a eu lieu la semaine dernière. Mais l’exposition dont le vernissage fut vendredi 13 (!) septembre dure encore – et durera un bon moment.
«Je pourrais décrire la Hollande, pardon les Pays-Bas, comme un pays de moulins et de tulipes. Je pourrais en faire tout un fromage (rires dans la salle). C’est facile de s’exprimer en clichés.» Et des clichés, il faut en venir à bout, comme des intolérances, et des atteintes à la liberté d’expression. C’est ainsi que Jean Plantureux (1951), mieux connu sous son pseudo de Plantu, a présenté, à Amsterdam et à La Haye, «son» exposition, qui est loin d’être exclusivement la sienne, car une petite cinquantaine de dessinateurs, de tous pays, de toutes croyances – ou presque.
C’est en 2006 que Plantu a pris l’initiative de créer Cartooning for Peace, «avec Kofi Annan», précise-t-il en passant. C’était à l’époque de «l’affaire» des dessinateurs danois (pour rafraîchir les mémoires: ils avaient publié des dessins de Mahomet, ce qui avait eu pour conséquence – quelque temps après – des manifestations anti-danoises, souvent violentes, généralement orchestrées, dans tout le monde musulman, ce contre quoi d’autres, souvent des collègues dessinateurs, avaient pris positionà leur tour, plus d’une fois par la publication d’autres dessins représentant – ou non – Mahomet). Ce que visait Plantu, c’était d’une part le soutien mutuel de dessinateurs, en particulier quand la liberté d’expression était en jeu. Et d’autre part, il s’agissait d’amorcer un dialogue, par l’intermédiaire du dessin.
Quant à Kofi Annan, secrétaire général de ONU à l’epoque, il offrait l’hospitalité à ce premier groupe de douze dessinateurs, tout simplement. Pendant deux jours, ils ont pu tenir un séminaire dans les locaux de l’ONU à New York, autour du thème «Cartooning for Peace – Des dessins pour la paix». Deux ans plus tard, l’association du même nom était un fait.
Depuis, elle organise des expositions de par le monde – et de préférence au Moyen-Orient. Il y en a eu à Ramallah comme à Jérusalem, en Italie comme en Turquie, au Burkina Faso comme en Suisse. Et partout, inlassablement, Plantu – qui s’avère être aussi bon parleur que dessinateur – vient présenter les dessins, introduire les dessinateurs… et amuser le public.
Car si les dessins exposés sont parfois grinçants – ou même carrément durs – on a beaucoup ri, pendant les présentations/conférences-débats à la Maison Descartes (Institut Français d’Amsterdam), au GEM, le musée de La Haye où l’exposition se tient, et au Palais de la Paix, également à La Haye, et qui, soit dit entre parenthèse, fête son centenaire ces jours-ci. On a ri et en même temps on a réfléchi. Comme on le fait, en fin de compte, devant un (bon) dessin politique.
Comme Plantu avait invité certains de ses confrères néerlandais -Joep Bertrams, Jos Collignon, Tom Janssen, Peter Nieuwendijk – on a pu comparer jusqu’où va la liberté d’expression dans les deux pays (en France, on semble avoir peur surtout du sexe…). Aux Pays-Bas, en général, un dessinateur s’autorise à être plus dur, plus direct que son confrère français.
Dans quelle mesure un dessinateur s’autocensure-t-il, et pourquoi? Plantu avoue sans scrupule s’autocensurer parfois, mais il est convaincu que dans certains cas, les limites imposées peuvent justement inciter à plus de créativité. Il a donné l’exemple du «non-portrait» du Profète qu’il avait dessiné – ou qu’il n’avait pas dessiné – dans Le Monde pour réagir à la violence de certains fanatiques musulmans qui s’acharnaient contre des dessinateurs.
Ce «non-portrait», on s’en souvient (je l’avais montré dans ce blog même), se constituait en fait, d’une phrase, toujours la même, répétée à l’infinie: «je ne dois pas dessiner mahomet». Et à la fin, ces phrases formaient le dessin d’une sorte d’imam barbu et enturbanné, qui pouvait être n’importe qui… y compris, avec un peu de bonne ou de mauvaise volonté, celui qu’il ne devait PAS représenter… Mais aussi celui qui, d’un minaret situé on ne sait où, scrutait l’horizon d’une longue-vue, à la recherche du portrait défendu…
La menace peut venir de partout, d’ailleurs. Des fanatiques religieux comme des fanatiques politiques, comme des autorités… Tous, ils ont déjà reçu des menaces – Jos Collignon en a fait un dessin extrêmement parlant: le dessinateur – on le reconnaît, lui – qui, de derrière sa table de travail, voit avancer un immense avion sur lui…
Et encore, dans nos pays occidentaux, les dessinateurs sont relativement à l’abri, comme la plupart des journalistes. Alors, pour aider les confrères/consoeurs qui vivent et travaillent dans des pays «difficiles», Plantu et ses copains vont dans ces pays, justement, tendent des mains, cherchent des ouvertures. Fin octobre, ils seront à Tunis pour ouvrir une autre exposition. Et sans doute Plantu répondra, de nouveau, aux questions multiples du public accouru; et de nouveau, sans doute, il racontera comment il est devenu dessinateur («parce que j »etais très timide et je ne parlais pas, je faisais des dessins à la place») et comment il en était venu, pour se nourrir, à vendre des meubles («parce que j’avais raté tous mes études») et aussi comment, un jour en 1972, il a envoyé son premier dessin au journal Le Monde… Une colombe, comme par hasard toute semblable à celle de «Cartooning for Peace»

L’exposition au GEM (Stadhouderslaan 41, La Haye) dure jusqu’au 8 décembre. Le 28 octobre, Cartooning for Peace sera à Tunis.