L’univers déconcertant de Patricia Piccinini
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C’est un petit bout de femme, Anne Piccini. Longue robe noire, baskets aux pieds. Voix douce, bon accent de « down under » : elle est Australienne, comme son nom ne l’indique pas. Elle nous montre une image sur sa tablette : une Vierge à l’enfant Jésus. Souriante, elle commente le tableau, archétype du rapport mère-enfant, du lien qui les unit, de la tendresse maternelle. (Ci-contre: Patricia Piccinini au milieu de son « champ de fleurs ». Photo Jacqueline Wesselius. )
Puis, elle se rapproche d’une de ses sculptures à elle, dans cette grande exposition à Rotterdam. Une femme debout, robe flottant autour d’elle, un enfant dans les bras, qui, de loin, paraît emmitouflé dans un linge. La femme fait poupée de cire, grandeur nature – ou plutôt, mannequin dans la vitrine d’un magasin de mode. La poupée regarde son enfant tendrement. On se rapproche. Et on s’aperçoit que le bébé est un monstre, qu’il est enfermé dans une carapace, comme un bébé-dinosaure, et que sa tête ressemble à celle d’un cochon, un bébé cochon triste… On recule d’effroi.
(Ci-contre : couverture du catalogue, montrant « The bond »(le lien), 2016)


C’est exactement l’effet recherché par l’artiste, quitte à nous ramener à de meilleurs sentiments pour ses petits monstres. Elle nous signale les signes de tendresse de part et d’autre, la mère posant sa joue sur celle du bébé, lequel paraît malgré tout plein de confiance. (Ci-contre : Samctuaire, 2018.)
Patricia Piccinini nous explique comment, dans un momde changeant, mutant même, grâce à l’évolution climatique, un monde aussi où la migration joue un grand rôle, elle voulait, grâce à son art, examiner ses réactions et les nôtres face à l’autre, l’inconnu, face au déviant… (Ci-contre : Couple. 2018)


Ainsi, dans toutes les œuvres exposées ici, la tendresse et la répulsion vont la main dans la main. C’est d’autant plus fort que les êtres que Patricia Piccinini a créées sont très « vivants », très « réalistes » ; leurs cheveux sont de vrais cheveux humains; leur « peau », faite à base de silicones, ressemble à s’y méprendre à une véritable peau. L’expression est archi-humaine. (Ci-contre : La consolatrice, The Comforter, 2010 . Photo Jacqueline Wesselius)

Je vous le concède, cette exposition de Patricia Piccinini, « Metamorphosis », n’est pas forcément de tout repos. Mais elle donne à réfléchir. Et ça aussi, c’est une fonction de l’art, non? A propos, quand je pense à d’autres artistes qui nous font réfléchir en nous mettant mal à l’aise, comment se fait-il que ce soit surtout des noms de femmes qui me viennent à l’esprit ? Frida Kahlo mettant en scène ses souffrances, sa douleur – physique et psychique – après la perte de son bébé ? Paula Rego, montrant elle aussi sa douleur, après un avortement clandestin, lui-même suite à un viol… Miriam Cahn, tout0 récemment, dont la dénonciation – sous formé d’un tableau – du viol comme acte de guerre à donné lieu à une polémique – et même une action en justice ! – déplacée… Femmes artistes, femmes fortes, femmes qui donnent de la voix… (Ci-contre : Paula Rego, L’homme aux oreillers 3. Kunstmuseum Den Haag.)
Patricia Piccinini, « Metamorphosis« , Kunsthal Rotterdam, jusqu’au 4 juin 2023
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English summary
Tender repulsion
Patricia Piccinini’s uncanny world

At first, you don’t notice it right away. The very first sculpture one encounters in this big exhibition seems to show just a mother with a baby in her arms, which she holds in a tender gesture. And then you come closer. The baby appears to be a little monster – but with a look in its eyes that makes you melt, as long as you don’t don’t look at its body (see picture on top, in French section). (Pictured here: Bootflower, 2015)
Almost all Piccinini’s works shown here are more or less in the same vein. The Australian artist wants to confront us with our own reaction to « the other », to a being that is both similar to us and very different. Us and them. But what, exactly, makes them different from us? These days, we seem to define our identity and that of others, in a ever narrower way. Still, we are all human – and even animals have a « human » side. (Photo Jacqueline Wesselius)

The sight of these creatures is made even more uncanny by the materials used, real human hair, a silicone structure that closely resembles the human skin. No, definitely, it’s not an easy show, although one experiences some comic relief here and there. The last room, « planted » with thousands of « flowers » is stunning, and the presence of these artificial flowers seems to soften the sight of the other creatures in this « field ». You may even develop a fondness for some of them.

Anyway, this exhibition is not so much about beauty – although there is beauty, too. These weird creatures, both hunan and animal – or, sometimes, human in an early state of homo sapiens – are there to make us think. About ourselves, about who and what we are, and, in general, about « all creatures, great and small« … And that, sometimes, is important too. And maybe, just maybe, after women artists painted flowers and still lives and ‘nice’ portrairs for centuries (because that’s what they were allowed to do) , they are taking their revenge and choose subjects – however unpleasant, however uncanny – that appeal to our conscience, or that show suffering. Think of some paintings by Frida Kahlo, think of Paula Rego, of Miriam Cahn. And think of Patricia Piccinini. (Photo Jacqueline Wesselius)
Patricia Piccinini, « Metamorphosis« , Kunsthal Rotterdam, until 4 June 2023
🖤
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