La folie de Vincent

 Emile Schuffenecker, « Homme à la pipe ». D'après l'Autoportrait de Vincent van Gogh à l'oreille bandée.

Emile Schuffenecker, « Homme à la pipe ». D’après l’Autoportrait de Vincent van Gogh à l’oreille bandée.

De quoi souffrait-il au juste, Vincent van Gogh? De quelle nature était sa folie ? Etait-ce de l’épilepsie (le premier diagnostic) ? Ou plutôt de la schizophrénie ? Une psychose ? De la neurosyphilis ? Tous ces diagnostics, et bien d’autres encore, ont été émis au sujet du célèbre peintre néerlandais, qui a passé les dernières années de sa vie en France (Paris, Arles, Saint-Rémy, Auvers-sur-Oise). En fait, on ne le sait pas. Toujours pas. Deux choses sont certaines. La première, c’est que son abus d’alcool – en en particulier d’absinthe – a dû contribuer largement à ses états de démence. La seconde, c’est que sa folie ne se reflète nullement dans ses toiles : durant ses périodes de crise, il ne peignait pas, il était incapable de travailler. Et après, quand il était revenu à lui, il n’avait aucun souvenir de ce qui s’était passé.

« Au bord de la folie » (« On the verge of insanity ») : c’est une petite, mais fort intéressante exposition au Musée Van Gogh d’Amsterdam, qui montre l’état actuel des connaissances concernant « la folie de Van Gogh ». Tous les diagnostics lâchés sur le pauvre homme, durant sa vie comme après sa mort y ont été rassemblés. Il y a le portrait du Dr. Félix Rey, qui a soigné Van Gogh à l’hôpital d’Arles, après que le malheureux s’était coupé l’oreille (en décembre 1888), et qui vient du Musée Pouchkine à Moscou. Et la découverte, par la chercheuse indépendante Bernadette Murphy, d’un dessin qu’avait fait ce même médecin, qui manifestement éprouvait de la sympathie pour l’artiste excentrique, a donné lieu à un véritable scoop. Le dessin forme une des pièces centrales de l’exposition. Ce qu’il montre ? L’oreille. La fameuse oreille, et la ligne de coupure qu’a suivi le rasoir de Van Gogh…

Vincent Van Gogh: « Autoportrait en peintre », 1887-1888.
Vincent Van Gogh: « Autoportrait en peintre », 1887-1888.

C’est que, jusque-là, les opinions divergeaient. Les uns disaient qu’il s’agissait de l’oreille gauche, d’autres affirmaient que c’était l’oreille droite ; certains étaient sûrs que Vincent n’avait coupé que le lobe, ou en tout cas un petit bout de l’oreille, d’autres prétendaient que toute l’oreille avait été coupée. Le dessin du Dr Rey tranche – sans jeu de mots – la question. Vincent van Gogh s’était bel et bien amputé de l’oreille gauche tout entière, à l’exception d’un bout de lobe. Et dans ses autoportraits à l’oreille bandée, il s’était peint comme il se voyait dans la glace… où la gauche est à droite et la droite, à gauche.

Dans le mot accompagnant le dessin, le bon docteur parle du « génie » de son ami peintre. Il ne l’a pas toujours vu ainsi, et le portrait que Van Gogh avait fait de lui ne lui plaisait nullement. Il s’en est même défait au bout d’une douzaine d’années. Ce qu’il a dû regretter ensuite…

Vincent van Gogh: « Champ de blé avec faucheur », septembre 1889. Dans une lettre, Van Gogh a comparé le faucheur à la mort.
Vincent van Gogh: « Champ de blé avec faucheur », septembre 1889. Dans une lettre, Van Gogh a comparé le faucheur à la mort.

Après l’épisode de l’oreille coupée, les voisins de Vincent à Arles ont adressé une pétition à la police pour que le peintre soit interné de force – de préférence loin, à Aix ou à Marseille. Certains de ces voisins avaient intérêt à ce que le peintre quitte la place Lamartine (ne serait-ce que pour récupérer sa maison…), d’autres témoignages sont sincères. Bourru, vite énervé, il n’était sûrement pas facile à vivre, le Vincent, surtout quand il avait bu un coup – ou le lendemain quand, hébété, il lui arrivait de suivre de  les gens – même ses amis – sans leur parler, se contentant de les mater bêtement.

Le commissaire central de la police d’Arles, Joseph d’Ornano, fait un rapport et conclut:

« Vincent Van Gogh est réellement atteint d’aliénation, cependant nous avons constaté que cet aliéné a des moments de lucidité. Van Gogh n’est pas encore dangereux pour la sécurité publique, mais on craint qu’il ne le devienne. »

Bref, le chef de la police arlésienne recommande l’internement dans l’asile d’Aix-en-Provence et le maire d’Arles émet un ordre à cet effet. Si l’ordre n’a jamais été exécuté, c’est que « l’aliéné » a recouvert ses esprits. Pourtant, il n’était pas sorti de l’auberge. au bout d’un moment, il s’est senti sombrer de nouveau et a demandé de lui-même à être admis à l’hospice de Saint-Rémy. Là, il s’est senti en relative sécurité. De plus, il pouvait y peindre et il l’a fait, abondamment.

La dépression, pendant ce temps-là, continuait de le hanter. Un des facteurs qui y a contribué, c’était le mariage de son frère Théo, marchand de tableaux à Paris. Vincent craignait (à tort) qu’à l’avenir il n’y ait plus de place pour lui dans la vie de Théo (et que Théo ne puisse plus subvenir à ses besoins…). Par ailleurs, il s’est convaincu que l’air de la Provence ne lui faisait pas de bien, qu’il lui fallait retourner dans le nord. En mai 1890, il entreprend le voyage et s’installe à Auvers-sur-Oise, où il sera surveillé et traité par le docteur Paul Gachet. Cela rassure Théo, qui le sait dorénavant plus près et de lui.

La suite, on la connaît. Inévitablement, Vincent finit par se brouiller avec le docteur Gachet. Il considère que sa vie est ratée. Plus ça va, moins il voit d’issue.

Le 27 juillet 1890, il écrit une lettre d’adieu à Théo, se procure un revolver (sans doute celui de l’aubergiste qui le logeait) et un dimanche matin, il s’en va dans les champs et se tire une balle dans ce qu’il croit être le cœur. En fait, la balle est passée à côté, et ayant fait tomber son arme, il n’arrive pas à la retrouver. Il réussit à regagner l’auberge. Le Dr Gachet, averti, ainsi qu’un collègue médecin, conclut que la balle est logée trop au fond pour pouvoir l’extraire. Vincent meurt deux jours après en présence de Théo.

Jusqu’au 25 septembre 2016, au Musée Van Gogh. (Pour réserver vos tickets, cliquez ici.) Les 14 et 15 septembre, 2016 le musée organise un colloque international intitulé « On The Verge Of Insanity: Van Gogh And His Illness ». Sous le même titre, le musée a publié un très beau livre (en néerlandais et en anglais) contenant non seulement les reproductions de toutes les œuvres exposées, mais aussi des facsimilés de tous les documents (dont la pétition, le rapport du commissaire, l’ordre d’internement et plusieurs lettres- et, évidemment, le dessin du Dr Rey).

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