La mer, la mer, toujours recommencée…

Piet Mondriaan, Duin (dune) II, 1909. Gemeentemuseu Den Haag.

… et éternelle source d’inspiration.

Le Gemeentemuseum à La Haye (un de mes préférés, tant pour l’architecture que pour la collection) est à moins d’un quart d’heure de marche du bord de mer. On pourrait presque la sentir, la mer ‑ et à défaut de sensation olfactive, c’est le vent, toujours présent, qui nous rappelle la proximité de la plage. Gamins, nous y allions presque tous les jours, moi et mes cousins qui habitaient juste à côté du musée.

Jann Mankes, Autoportrait. Museum MORE

A quelques pas de là aussi se trouve la maison où le peintre Jan Mankes (retenez ce nom ! Il est mort jeune1889‑1920, mais quel talent…) s’installa voici un siècle à peu près pour pouvoir peindre les dunes… aujourd’hui cachées par des bâtiments, hélas, mais toujours aussi proches.

 

Bref, la mer est un thème qui convient au Gemeentemuseum, d’autant plus qu’il possède sans doute la plus grande collection des peintres appartenant à l’École de La Haye, les impressionnistes néerlandais qui ‑ pendant la deuxième moitié du XIXe siècle ‑ s’en donnaient à cœur joie à peindre les dunes, la plage, les bateaux de pêche, ainsi que la population de Scheveningen, le petit village de pêcheurs à présent intégré dans la ville de La Haye. Bon nombre de ces vues de bord de mer sont maintenant regroupées, jusqu’à la fin de l’été, au premier étage du musée (« De Haagse School aan zee », « L’École de La Haye à la plage » ; jusqu’au 16 septembre).

Une des photos de l’exposition Terre/Mer de Stephan Vanfleteren

Deux autres expositions au même musée ont également trait à la mer et à ses paysages. Pas à Scheveningen, mais plus au Sud, dans la province de Zélande, là où, au cours des siècles, la mer a non seulement beaucoup donné, mais beaucoup pris aussi : des terres, des vies, par milliers parfois (comme lors de la tempête de février 1953). Le Gemeentemuseum a demandé au grand photographe flamand Stephan Vanfleteren (1969), dont on connaît l’amour de la mer, de passer quelque temps en Zélande et de photographier ce que bon lui  semblait. Le résultat : « Terre / Mer », un ensemble de photos (presque) monochromes dans lesquelles on voit le vent balayant le pays, où parfois les arbres semblent à peine tenir le coup, où les vagues forment un paysage presque abstrait, où les dunes rappellent celles peintes par Mondrian (jusqu’au 18 novembre).

Voilà. Le nom est tombé. Mondrian. Le peintre le plus célèbre de cette exposition « Au bord de la mer » (« Aan zee »), qui occupe les salles intimes du rez-de-chaussée longeant le patio-café qu’éclaire la lumière du jour à travers un toit en verre. Les salles d’exposition, séparées du patio par des fenêtres, bénéficient de cette lumière tamisée, tandis que de sa table de café, la consommatrice ou le consommateur, tout en savourant son thé ou son cappuccino, peut jeter un regard oblique sur certaines œuvres exposées ‑ dont « La dune »(1910) de Mondrian qui ‑ bien qu’appartenant au Gemeentemuseum ‑ se trouve habituellement au Guggenheim de New York, faisant l’objet d’un prêt de longue durée.

La fameuse «Dune» (re)venue du Guggenheim, réflétant la fenêtre…

Un grand nombre des œuvres exposées ici font partie de la collection permanente du Gemeentemuseum, d’autres, qu’on ne voit que rarement, viennent de collections privées et parfois d’autres musées. Une fois de plus, on remarque à quel point le Gemeentemuseum est riche en œuvres de Mondrian ‑ ce qui permet de faire des comparaisons, de montrer certaines évolutions, des influences.

Le célèbre « Arbre rouge » (1908‑1910), c’est en Zélande qu’il l’a peint, qu’il a fait les dessins menant au résultat final. L’abstraction, les couleurs, le bleu, le rose virant au rouge, qui ont dominé toute une période de Mondrian ‑ -c’est ici qu’elles ont leurs racines.

Quatre artistes sont réunis dans ces salles. Tous, ils fréquentaient, entre 1908 et 1915, la pittoresque petite ville de Domburg et les villages de Westkapelle et de Zoutelande, tous sur l’île de Walcheren, le cœur de la Zélande, dont le paysage correspond si bien au « plat pays » de Brel ‑  sauf que la province s’enorgueillit d’une luminosité qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Ces quatre artistes formaient aussi un groupe d’amis, peignant les mêmes motifs, s’influençant mutuellement. Des quatre, c’est Frederik Hart Nibbrig (1866‑1915) qui sans doute est resté le plus « classique », qui a le moins changé au cours du temps. Certains trouvent ses paysages pointillistes ‑ souvent exécutés à la craie ‑ trop gentils.

Mondriaan, Phare de Westkapelle, 1908

Pourtant, on ne peut rester insensible à ses portraits de jeunes filles zélandaises dans leurs coiffes blanches immaculées, ou de paysans râblés aux traits anguleux. Et de toutes façons, il est intéressant de voir comment les mêmes motifs ‑ comme le phare de Westkapelle ‑ sont interprétés de façon différente.

 

Piet Mondrian (1872 – 1944) et son aîné Jan Toorop (1858 – 1928) ont le plus changé de style au cours de ces années passées au bord de la mer. Les deux sont passés par une phase pointilliste, après quoi Toorop s’est mué plutôt en expressionniste, tandis que les œuvres de Mondrian devenaient de plus en plus abstraites en passant par une sorte de cubisme.

J. Van Heemskerck, Deux Arbres, 1908

Peut-être moins connue, mais non moins intéressante, est l’œuvre de la seule femme du groupe, Jacoba van Heemskerck (1876 – 1923). On ne peut que rêver de ce que son œuvre serait devenue si Van Heemskerck avait vécu plus longtemps… Originaire de La Haye, elle a passé plusieurs étés à Domburg et ses environs, où son amie, la riche collectionneuse Marie Tak van Poortvliet, avait fait construire une villa avec un grand atelier, ce qui permettait à Jacoba, asthmatique, de profiter de l’air de la mer tout en travaillant. Ses tableaux sont d’une puissance étonnante. Au début, le vert et le marron y dominent, les couleurs des chênes des bois des dunes. En 1913, elle participe à une grande exposition à Berlin, où ses tableaux côtoient ceux des grands expressionnistes allemands qui, comme Wassily Kandinsky, font partie du mouvement Der Sturm. A partir de ce moment, son style se rapproche du leur : tableaux très structurés, presque abstraits, aux lignes fortes et aux couleurs vives.  Impressionnant. Dès lors, son nom est associé à ceux des plus grands: Chagall, Léger… Elle expose avec eux, jusqu’à sa mort précoce en 1923.

Si jamais vous visitez la Zélande (ce qui vaut drôlement le coup et ce qui est à peine un détour si vous venez en voiture), ne manquez pas d’aller voir Domburg et son musée Marie Tak van Poortvliet. Cependant, les œuvres les plus intéressantes peut-être de sa collection, elle en a fait don… au Gemeentemuseum.

Jusqu’au 18 novembre 2018 (« Au bord de la mer » et « Terre/Mer » ), jusqu’au 16 septembre pour « L’École de La Haye à Scheveningen ». Gemeentemuseum, Stadhouderslaan 41, 2517 HV, La Haye.

Un magazine a été publié à cette occasion, contenant pas mal de reproductions de tableaux et plusieurs photos de Vanfleteren (€ 7,50, en néerlandais seulement).

 

 

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