Le réalisme en questions

Dix ans d’art réaliste
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Informations pratiques: cliquez ici

Lors de son inauguration, en 2015, le petit musée More (MOdern REalism) faisait figure d’exception. L’art réaliste ? Un art de second rang, d’après encore pas mal de critiques de l’époque – pourtant récente. En effet, depuis les années trente du siècle dernier, mais surtout après la Seconde Guerre Mondiale, le monde artistique prônait l’expérimentation et – de plus en plus – l’abstraction, voire le minimalisme, et reléguant l’art figuratif – et plus encore, réaliste! – aux oubliettes. Mais le vent a tourné.

Une salle de l’exposition, avec, au fond, les photos de Tony Dočekal prises en Arizona, parmi une population pauvre (2024).

Le musée More n’est plus l’exception, loin de là. Il n’y a qu’à regarder les programmes (et le succès!) des expositions récentes ou à venir. En 1980, le Centre Pompidou faisait figure de précurseur avec son exposition « Les Réalismes » – l’art réaliste entre 1919 et 1939 – puis, en 2007, avec « Le Nouveau Réalisme ». À présent l’art figuratif est partout : de Suzanne Valadon à ce même Centre Pompidou, à celles, à venir, de Henri Matisse et de Gabrielle Münter (toutes deux en avril 2025 à Paris, au MAM). Le Bozar de Bruxelles montre des peintres contemporains africains et afro-américains (« When We See Us »), tous tant soit peu figuratifs ; et aux Pays-Bas, on accourt aux expositions de peintres comme Henri Martin et Henri Le Sidaner, par exemple, jadis célèbres, et qui viennent – à juste titre – de sortir du placard où on les avait fourrés lors du règne de l’art avant-garde et abstrait (musée Singer Laren).

Ronald Ophuis, Les Veuves de Srebenica, Bosnie-Herzegovina, 2005-2022

Mais retournons au Musée More. Là, on constate que la définition du réalisme artistique a évolué aussi. Au début, More, par exemple, favorisait peut-être la peinture dite « photo-réaliste » (Carel Willink ou Henk Helmantel, par exemple), une peinture très fine, qui rend les objets représentés jusque dans les moindres détails. Mais plus ça va, et plus la notion de réalisme s’étend, au point d’embrasser des styles vraiment très différents.

Vie quotidienne

L’exposition par laquelle More fête ses dix ans d’existence comprend 53 œuvres, faites au cours des dix dernières années, par 53 artistes. Et on pourrait dire 53 styles et matériaux. Il y a de la peinture, de la sculpture, des vidéos, des techniques mixtes, il y en a même qui font appel à l’intelligence artificielle… Certaines oeuvres se rapprochent de l’art abstrait, d’autres du réalisme photographique, et puis il y a tout ce qu’on peut imaginer entre les deux, et de toutes les tailles : cela va du mural immense aux portraits miniatures. Et chaque artiste donne une définition différente du concept de réalisme…

Ci-contre: Kelli Smith, Super Market Shopping with Grandma, 2023.

Ce qu’on constate, c’est que la vie quotidienne joue un grand rôle. Un (trop) petit lavabo comme on en trouve souvent dans les toilettes aux Pays-Bas, par l’Allemande Kira Fröse (voir plus bas). Comme dans la peinture ci-dessus, de l’australo-néerlandais Kelli Smith : une grand-mère et son petit-fils qui viennent de faire des courses dans un grand supermarché. En exagérant à peine, on pourrait dire que c’est tellement banal que cela en devient fascinant Ou encore les petites scènes en apparence anodines filmées et dessinées par Anna Reerds : des machines à laver qui tournent dans une laverie automatique ; ou bien une dame pipi et sa soucoupe à sous… C’est extraordinaire, les détails de telles oeuvres, qui sont autant de commentaires (souvent humoristiques) sur la vie de tous les jours, la vie de gens « ordinaires »

Kira Fröse, Überflüssigkeit, 2019, © Pictoright
révoltes

À côté de la vie quotidienne, il y a un autre aspect qui frappe dans certaines oeuvres : la critique de la société, du monde tel qu’il est. Il y a un certain activisme, de la révolte. Comme Ronald Ophuis qui peint « Les veuves de Srebrenica » (voir plus haut). Ce sont des femmes fortes, qui regardent l’artiste avec défiance – et pour cause. Srebrenica, c’est cette petite ville bosniaque, où, en 1995, plus de 8.000 hommes bosniaques furent capturés et tués par les Serbes au vu et au su des militaires néerlandais censés protéger la population, mais qui n’avaient ni armes ni mandat pour affronter l’armee serbe. Leurs femmes ont fait un procès à l’État néerlandais, et elles l’ont gagné. Tout ça se voit dans leur regard.

Dans un tout autre style, Tinkebell expose les méfaits des hauts-fournaux de Tata Steel, jusque dans le matériau lui-même : les particules fines, sous forme de poussières métalliques descendues en pluie fine sur les dunes environnantes. Tinkebell les a ramassées méticuleusement, bravant les maux de tête et les saignements de nez que cela lui donnait : elle les considère comme faisant partie intégrante de l’oeuvre d’art.

Ci-contre : Tinkebell, Flora Tata Metallica, 2022, courtesy TORCH Gallery Amsterdam

On pourrait continuer, il y a d’autres exemples, mais le mieux, c’est de les montrer ici. Et encore mieux : allez donc les voir sur place, au Musée More. C’est un peu une expédition, mais ça vaut le coup (encore que, en matière d’expédition, on fait mieux…. Depuis Amsterdam, c’est à une heure de train, jusqu’à Deventer, plus un quart d’heure de car, direction Zutphen, et l’arrêt est pratiquement devant le musée, situé dans une très belle région qui vaut d’être explorée).

Informations pratiques

Museum MORE, Hoofdstraat 28, 7213CW Gorssel. En voiture / transports en commun. Ouvert du mardi au dimanche de 10:00 h à 17:00 h. Billets : adultes € 19,50, 12-18 ans € 8,50. Gratuit : enfants < 12 ans, Museumcard, ICOM pass (carte de presse: sur r-v). L’exposition « Reality Check » dure jusqu’au 9 juin 2025.
Le musée a une dépendance au château Ruurlo, où – à part une collection permanente d’oeuvres de Carel Willink – il y a une exposition temporaire, « Cute and Catty » (« Minous Mignons » ) jusqu’au 29 juin 2025.

Plus d’images dans la section anglaise

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English summary

Reality Check

Ten years of realism in art

Practical information

Ten years ago, when the museum More (for Modern Realism) was created in this pittoresk part in the East of the Netherlands, it was relatively exceptional. Art critics considered it with some suspicion, even condescendance. If realism wasn’t actually a dirty word in the world of art, it was still considered inferior to art forms that showed any degree of abstraction. From the 1920-1930 on, art had been shifting toward abstraction, in different degrees, and particularly after WWII, when « everything » had to change, realism in art was not done anymore, and in the 1960s abstraction in its most extreme form was aimed at by the minimalist movement.

Ten years on, opinions have shifted, and so has art itself. The boundaries between « abstraction » and « realism » have  faded, as have the boundaries between styles and techniques. Many young(ish) artists nowadays are working with a mix of materials and techniques we couldn’t have dreamed of a few decades ago.

Lieven Hendriks, Silver Linings, 2024

That’s one of the things that the new exhibition in More shows. And another one is, that realism has become a broader concept than ever. All 53 works – by 53 artists  – were made in the Netherlands during the past ten years. They may be Dutch, British, Australian, French, German, or whatever, as long as they worked in the Netherlands. There are paintings, sculptures, videos,  art works that mix several techniques – one artist even used AI… There is a huge mural and there are miniature portraits… In short, it could be hardly more diverse (in more than one way).

Arjan van Helmond, Bedscape , 2023, avec l’aimable autorisation de Galerie Gerhard Hofland© Pictoright

Some artists show scenes of our daily life, people who are shopping (Kelli Smith), washing machines in a launderette (Anna Reerd), a wash basin (Kira Fröse). Others put a finger on what’s wrong in our society, the widows of Srebrenica (Ronald Ophuis), the treatment of asylum seekers (Joyce Overheul), the pollution by Tata Steel (Tinkebell), or ( people living in extreme poverty in  Arizona (Tony Dočekal).. Others again show series of portraits, of people during the pandemic (Rosa Everts), of transgenders, of  undocumented people (Himmelsbach), thus creating « a monument for the undocumented »… And some just represent objects – fruits on a tree (Jasper Hagenaar), part of a car, a sheet…

In short, this is a broad, diverse and very interesting show, worth the trip.

Himmelsbach : A Monument for the Undocumented, 2013 – now

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Practical information

Museum MORE, Hoofdstraat 28, 7213CW Gorssel. By car / public transports. Open Tuesdays – Sundays 10 am to 5 pm. Tickets : adults € 19,50, 12-18 years € 8,50. Free: children < 12 ans, Museumcard, ICOM pass (press card: by appointment). The exhibition « Reality Check » ends 9 June 2025.
The museum has a dépendance : Ruurlo castle, where – apart from the permanent collection of Carel Willink’s works – you can see a temporary exhibition, « Cute and Catty » (cats in art ) until 29 June 2025.

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