L’univers curieux de Jan Worst

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Ses oeuvres « racontent une histoire sans la raconter « , comme le peintre le formule lui-même. Toutes, elles nous proposent une énigme. Et pourtant, à première vue, elles semblent hyper-réalistes. À y regarder de plus près, rien n’est moins vrai. Dans ces tableaux, tout est faux-semblant, du décor somptueux aux personnages tout droit sortis des magazines de mode. Et plus on les regarde, plus ils nous intriguent.

Ci-contre: Détails divins, 2013-14. Le seul de ses tableaux qui, aux yeux de l’artiste, soit « parfait ».

L’artiste ? Le néerlandais Jan Worst (né en 1953). C’est le beau musee More, spécialisé dans le réalisme moderne (et – soit dit entre parenthèses – sis dans un environnement bucolique), qui, le premier, présente une exposition qui embrasse quarante années de travail de Jan Worst (né en 1953). Et à 70 ans, cet artiste peintre qui ne manque pourtant pas de succès (ses oeuvres se vendent dans le monde entier, de New York à Hong Kong), aura donc sa première rétrospective.

Sans titre (1984).C ommentaire de Jan Worst: « C’est le premier de mes tableaux où il y a des éléments de mes tableaux ultérieurs : l’espace qui s’ouvre, le rôle prominent des meubles, les figures humaines dans des situations et des positions qui intriguent… On se demande continuellement : Que se passe-t-il ? Que vois-je ? »

Ses sources d’inspiration? Au début surtout, certains peintres qu’il admire : Arnold Böcklin (1827-1901), Max Beckmann (1884-1950). Des lectures (Marcel Proust, Thomas Mann), de la musique (écoutez sa liste Spotify). Mais aussi le cinéma (Antonioni, Resnais).
Ainsi, en arrière-fond, l’exposition projette en permanence des fragments du célèbre film d’Alain Resnais, L’année dernière à Marienbad (1961).
« C’est que, m’explique l’artiste, il n’y avait pas grand-chose à faire dans la ville où je suivais les cours de l’Ecole des Beaux-Arts (Minerva Academie, Groningen). Alors, je passais mon temps au cinéma. » Et Sito Rozema, le commissaire à l’exposition, d’ajouter qu’il y a pas mal de similitudes entre le film de Resnais et les tableaux de Worst, et qu’à la limite, on pourrait comparer ceux-ci à des films gelés. Dans les deux cas, les intérieurs sont comparables à des intérieurs de château, bien que le film soit en noir et blanc, et les tableaux en couleur. Et dans les deux cas, on se trouve devant un mystère. Que se passe-t-il, que s’est-il passé à Marienbad ? De quoi s’agit-il ? C’est à nous de le déterminer.

Ci-contre : Cicerone. 1997. Gasunie, Groningen.

La musique que Jan Worst écoute dans son atelier.

« Quand on regarde mes tableaux, on se sent un peu voyeur.  C’est comme si on avait ouvert une porte, et on se demande : qu’est-ce que je fais ici? Il y a une certaine gêne. »
« Depuis le temps où le tableau a été peint, notre regard a changé aussi, » fait remarquer Maïté Van Dijk, la directrice du musée, « De nos jours, on se demande : que fait cette dame avec ce petit garçon ? Que fait le petit avec cette femme nue ? » Et j’ajouterais : le tabouret, lui non plus, ne serait pas vu d’un bon oeil de nos jours. Mais ça n’enlève rien au charme mysetérieux de ce tableau.

Ci-contre : Pitying Torturer (Le bourreau prend pitié). 2002, 200 cm x 400 cm. Coll. Gian Enzo Sperone.

Comme peintre, il n’est jamais content, Jan Worst constate-t-il. Il y a toujours quelque chose qui cloche. A-t-il jamais envisagé de peindre autre chose? Non, jamais. Ses thèmes sont récurrents: des femmes perchées, sur une table, un tabouret, ou les deux entassés (« sur un piédestal », précise-t-il – oui, mais en même temps, elles sont souvent accroupies, ou à quatre pattes), tout comme ses modèles ou les meubles qui garnissent ses intérieurs. Rien d’étonnant : il les découpe dans des magazines de luxe. Autour des femmes, des enfants, des vieillards. Que font-ils là ? Quelles sont leurs relations ? Font-ils partie de la même famille ? Sont-ils étrangers les uns aux autres ? Les titres des tableaux donnent rarement des indications, au contraire, souvent, ils ajoutent à l’énigme.

Ci-contre : The Egoist (L’Égoïste). 2002. Coll. privée.

Durant la période du covid et du confinement, Jan Worst change de style. Il ne se contente plus de suggérer une histoire, il la raconte. En long , en large et en travers. Une véritable épopée. Et c’est comme une libération, « Je n’ai jamais été si heureux ». Il se remet à peindre des gobelins – ou tout au moins, des tableaux qui ont comme fond un gobelin. Un travail de moine, qu’il adore. Très minutieux, avec des petits pinceaux (il faut vraiment se tenir devant les tableaux pour voir les coups de pinceau). Worst a déjà peint des gobelins, mais là, il y en a plusieurs qui se succèdent. Il y a une lumière, une clarté, des couleurs différentes . Plus de bleus, des bleus et des verts. « Saved by Memory » (Sauvé par la mémoire) est ce qu’il appelle son « tableau covid ». « Quand j’étais jeune, je faisais des tableau sur commande, quand des galeries demandaient quelque chose de spécial. À présent que je suis vieillissant , je dis: ça va. Maintenant, je fais ce que je veux. »

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Une salle de l’exposition au musée More. À gauche, Jan Worst. Photo Jacqueline Wesselius

Cette exposition vaut vraiment le coup, je dirais même plus : elle vaut le détour. Oui, le musée MORE est « loin » de l’Ouest du pays, où se situent les centres administratifs, commerciaux, financiers – et où se trouvent les « grands » musées les plus connus. Mais, quoi, une heure de train et vingt minutes de bus, pour arriver quasiment devant ce beau musée (avec un bon restaurant), dans un cadre bucolique, boisé, et tout à fait charmant, qu’est-ce que ça représente? Est qu’est-ce qui vous empêche de vous y installer pour quelques jours, de louer un vélo, et de trouver « calme, luxe et volupté »…? Allez-y, les peintures de Jan Worst gagnent beaucoup à être vues de près. Vous ne le regretterez pas.

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English summary

The Curious Universe of Jan Worst

What’s in a name? Jan Worst (born 1953) is one of the most interesting contemporary painters I have seen. His canvases are huge, his colors bright, his world strange, not to say unsettling, even uncanny sometimes – although at first glance, you might just see a glamorous world, full of elegant interiors – style landed gentry – with well-filled bookcases, antiques, costly tapestry and carpets, and people looking like they just popped out of a fashion magazine.
But nothing is what it seems. People – women, mainly, and children – have strange attitudes, they perch on tables, chimneys or even on pieces of furniture placed on top of one another. The relationships between the « characters » in these « scenes » seem complicated – but what are they? Family? Strangers to one another? What is their story? One wonders… and the paintings’ titles are rarely helpful.

Shown here: The Watcher, 2001. 2050 x 200 cm. Collection Andrea and Francesca Brignone. Photo Jacqueline Wesselius.

Worst’s canvases « tell a story without telling it, » he says. We have to guess what’s going on. To guess whether what we see is what we are meant to see. And whether all those women on top of whatever furniture really are « on a pedestal, » as Jan Worst says. How important is the « male gaze » in this respect? And is it the artist’s gaze, or that of the photographer whose work the painter uses here? It may not be that evident at first sight, but all his canvases are huge collages for which he uses cuttings from glossy magazines, often from the 80s and 90s, when fashion photographers (mostly men) favored women in curious positions.
The settings, too, are taken from those kinds of magazines. And then, like a set of playing cards, Jan Worst shuffles them, again and again. Yes, indeed, that set of chairs, that desk, rug, artifact or couch may seem familiar. You did see it before, in another painting, another setting, and each time, it tells another story. Without actually telling it.
Shown here: The Schoolboy. 2005. 200 x 150 cm. Olbricht Collection.

The music Jan Worst listen to while at work.

As a background in his paintings, Jan Worst regularly uses Gobelins or other tapestries. They are real, existing tapestries, he told me, and he loves to paint them very carefully, with small brushes. That takes time. Some of his biggest paintings took over a year.
Over the years, the tapestries seem to have come to the foreground. And they tell a story, as much or even more so than the characters in the room – characters who sometimes even seem to be absorbed by the tapestries. Their colors are bright; lots of greenish-blue and bluish-green. This is maybe most obvious in « Saved by Memory » (2022-23, see below), in which the gobelin tells or shows the epic story of Noah and his Ark, with a lot of pathos and a lot of dramatic details. One hardly notices the young woman seated below this tapestry, and the posh desk with its Empire lampshade and the leather-bound books contrasts strangely with the biblical events staged behind.
« Painting this was like a liberation, » says Jan Worst, who painted this during the last Covid years. « When I was young, I painted the kind of work galleries asked for from me. The lockdown helped me to break loose from these bonds and paint only what I want to paint. Now that I’m older, I found my freedom back. »

Shown here: Jan Worst, Allegory II. 1995. 170 x 115 cm. Private Collection.

The exhibition of Jan Worst’s work, in museum MORE, specializing in modern realism, is certainly worth a visit, even if you have to take a train and a bus (but it’s easily accessible, and the environment is most pleasant). These are paintings you have to see « for real ». Photos can’t show all the details, all the brush strokes, all the shades. You won’t regret the trip!

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2 commentaires

  1. C’est sûr. D’autant plus que notre regard a évolué. Ceci dit, les scènes représentées sont surtout ambiguës. Et en même temps, ce sont des prouesses techniques. Mais ça, on ne le voit que quand on se trouve devant le tableau.

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  2. Je ne connaissais pas cet artiste, jolie découverte, mais c’est vrai que ses tableaux sont un peu dérangeants

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