Toujours à la recherche d’un équilibre, Eduardo Chillida (1924 ‑ 2002). Toujours en train de balancer entre terre et ciel, entre lourdeur et légèreté.
Basque espagnol, il est familier avec la montagne comme avec l’océan, ces deux opposés, et les deux peuvent être rudes dans cette région ‑ ne parlons pas de la rencontre des deux. Les matières rudes, il les aime aussi, Chillida. Ses sculptures sont en granit, en béton, et surtout en acier. Souvent, ses sculptures paraissent impossibles : un bloc de béton suspendu en l’air, des structures d’acier qui surgissent des vagues, et que traverse le vent.
Là encore, les opposés se rejoignent.
Le sculpteur remplit des carnets de notes de son écriture hachée, toute en capitales, alternant avec des esquisses. Il (se) pose beaucoup de questions : sur la durée, la gravité, la dimension, les rapports entre tout cela. Des questions métaphysique aussi : « La dimension est-elle une condition nécessaire pour faire partie de l’univers ? » Ou bien : « L’esprit connaît-il des limites ? » Parfois ses notes ont la forme d’un poème :
Johann Sébastien Bach. Salut
moderne comme les vagues
ancien comme la mer
toujours jamais différent
Mais jamais toujours le même.
Les oeuvres de Chillida ont souvent des noms symboliques : « Arc de la liberté », « Éloge de l’eau », « Peigne du vent », ou encore : « Conseil à l’espace », « Profond est l’air ». Souvent, il en fait des séries, avec de petites modifications. Il fait aussi pas mal de « Hommages », à l’un, à l’autre : à Balenciaga, un bon ami de sa grand’mère, à Milares, à Calder, des artistes qu’il admire et qui lui ont appris des choses.
Certaines œuvres ont une histoire, soit par leur difficulté d’installation (comme « Peigne du vent XV » sur les rochers dépassant de l’océan près de Saint-Sébastien). Soit parce qu’il y a eu « des histoires », comme autour de son « Arc de la liberté », créé à la demande de Jack Lang, alors ministre de la Culture en France, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française (1989). Il était prévu d’installer cet Arc dans le centre de Paris, à la pointe de l’Île de la Cité, celle qui dépasse du Pont Neuf. Mais il fallait passer aussi par la mairie de Paris et le maire de l’époque était Jacques Chirac, de toute évidence pas du même bord politique que le gouvernement socialiste. Y a-t-il eu des bisbilles politiques ? Des lourdeurs administratives ? Toujours est-il que la mairie n’a pas donné son accord pour le lieu choisi initialement. Eduardo Chillida en a eu marre et leur a fait un pied de nez à tous : il a installé sa sculpture dans son parc-musée à Saint-Sébastien, où elle est en harmonie parfaite avec la nature environnante. Au lieu de l’Arc de la Liberté au centre de Paris, il y a eu la Grande Arche à la Défense…
Et là, pour quelques mois, cet « Arc de la Liberté » est à Amsterdam, au jardin du Rijksmuseum, comme plusieurs autres œuvres du maître basque. On peut non seulement l’y admirer, mais on peut la toucher, passer dessous ‑ c’est recommandé même. Et cette Arche y semble formidablement à l’aise, à quelques mètres de la grande fontaine et au milieu de la verdure comme chez elle.
Pour la sixième année consécutive, ce beau jardin s’est transformé en jardin de sculptures, et une fois de plus le commissaire de l’exposition est Alfred Pacquement, ancien directeur du Centre Pompidou à Paris (2000 ‑ 2013). Il connaît bien l’œuvre de Chillida, bien que sous sa direction « son » musée n’ait pas eu l’occasion d’organiser une rétrospective de l’œuvre du sculpteur. Il y en a une au Jeu de Paume
en 2002 ‑ et en 1981, des œuvres (sur papier) de Chillida faisaient partie de l’exposition « Paris ‑ Paris », rassemblant des créations de différents artistes, ayant pour point commun d’être faites à Paris entre 1937, « année de l’exposition internationale » et 1957, « où commence une ère nouvelle, celle de l’éloge de la consommation et de la suprématie des médias. »
En effet, Chillida a beaucoup travaillé à Paris, où il a vécu depuis 1948 jusqu’à 1951, lorsqu’il est retourné au Pays Basque pour de bon. Il y a exposé dès 1949, y a fait la connaissance de gens comme Brancusi et Tapiès, et très vite, il a fait partie de « l’écurie » de la Galerie Maeght et, plus tard de celle de Solomon Guggenheim. La preuve qu’on a su apprécier sa valeur artistique dès ses débuts comme sculpteur (il a aussi une œuvre gravée, notamment). Gaston Bachelard le décrivait comme « le sculpteur devenu forgeron », à cause de sa prédilection pour le fer, mais Chillida travaillait aussi d’autres matières : le béton, le granit…
Assez parlé. Délectez-vous de ses œuvres. C’est gratuit, en plus… et n’oubliez pas quand même d’admirer aussi son « Hommage à Calder », l’unique sculpture de l’artiste basque qui se trouve dans le hall d’entrée du musée et non dans le jardin.
Rijksmuseum, Museumstraat 1, Amsterdam. Jusqu’au 23 septembre 2018, tlj de 9.00 heures à 18.00 heures.
L’exposition s’accompagne d’un joli catalogue (en vente dans la Boutique du Rijks ou en ligne) : Eduardo Chillida. Par Alfred Pacquement, avec des textes d’Eduardo Chillida. 72 pages, 45 illustrations. Prix € 15,-. ISBN 978-94-92660-12-1
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« Chillida aux Jardins du Rijksmuseum » a été rendu possible par l’Art Mentor Foundation Lucerne, Pon et le Rijksclub.