
Eh oui, partout on regarde en arrière, partout on fait les comptes. Cela vaut pour les musées comme pour d’autres institutions.
Soit on se contente de mentionner les expositions de cette année et/ou le nombre de visiteurs ‑ en hausse, comme il se doit, même pour le Stedelijk Museum d’Amsterdam, dont on avait dit (à tort) que les chiffres n’arrêtaient pas de baisser.
Soit on sort une petite vidéo, comme le voisin du Stedelijk, le musée Van Gogh, qui montre et suggère plus qu’il ne démontre.
Cela tombe bien, parce que c’est justement du Van Gogh que je voulais vous parler. Et aussi du musée de La Haye qui s’appelle (musée de la) Mesdag Collectie (musée de la Collection Mesdag), relativement peu connu, mais s’avère être un beau petit écrin plein de joyaux. Initialement, au Xie siècle, il se destinait à héberger la collection d’art du peintre Hendrik Willem Mesdag (1831‑1915), connu surtout pour son extraordinaire Panorama et quelques autres tableaux de Scheveningen, la plage de La Haye. Mais il était aussi un grand collectionneur. Il collectionnait ses contemporains, surtout de l’Ecole dite de La Haye, mais aussi Théodore Rousseau, Corot, Courbet, Millet, bref, l’école de Barbizon.
Joindre les forces
Plus ça va, et plus les musées joignent leurs forces, font des choses en commun (même parfois de achats en commun, comme le Rijksmuseum et le Louvre ont acheté « Maarten et Oopjen » ensemble). Plus ça va et plus on voit des expositions dans deux musées qui se complètent l’une l’autre ‑ parfois, comme dans le cas de The American Dream, on parle même d’une seule exposition dans deux musées ‑ le Drents Museum se consacrant aux années 1945-1960, la Kunsthalle Emden, juste au-delà de la frontière allemande, les années 1960-2017.

Le Van Gogh et la Collection Mesdag ont fait un peu la même chose, sauf que la coupure chronologique n’est pas aussi nette. Le Van Gogh expose « Les Néerlandais de Paris », Mesdag « Les Hollandais de Barbizon ». Deux expositions très belles, qui valent autant le coup l’une que l’autre et qu’en fait, on devrait voir toutes les deux, tellement elles se complètent et s’imbriquent l’une dans l’autre. Chronologiquement, l’exposition du Van Gogh entoure en quelque sorte celle du Mesdag. A Amsterdam, on commence en 1789, l’année de la Révolution française, et on termine avec Mondriaan en 1914. Les œuvres que l’on montre à La Haye datent surtout de la seconde moitié du XIXe siècle (et l’expo est complétée par des photos récentes montrant ces mêmes lieux comme ils sont aujourd’hui).

La collection Mesdag d’origine comprend des peintres français de l’École de Barbizon, et il n’est que logique de montrer ceux-ci dans cette exposition temporaire : ce sont eux qui ont devancé et, en quelque sorte, guidé leurs confrères néerlandais. Et de ceux-ci, certains ‑ comme Jacob Maris ‑ se trouvent dans les deux expositions, aussi bien à Amsterdam qu’à La Haye, puisqu’ils habitaient Paris et passaient leurs dimanches dans la Forêt de Fontainebleau, qui borde Barbizon et Moret-sur-Loing.
D’autres évitaient la capitale, mais savaient trouver l’auberge de Ganne à Barbizon, où tous les artistes se retrouvaient. Certains n’ont fait qu’un séjour très court dans cette région, d’autres ‑ comme Anton Mauve ‑ n’y ont même jamais mis les pieds. Ce qui ne les empêchait pas de connaître les œuvres de Corot et de Millet, et de s’en inspirer. En ce sens, ils ont bien leur place ici. De toutes manières, ce qu’ils ont tous en commun, c’est qu’ils ont appliqué, chez eux, les principes de l’école de Barbizon : peindre la nature, telle qu’ils la voyaient et non telle qu’ils la rêvaient. Et ils prenaient « la nature » au sens large, incluant le monde agricole, et celui des pêcheurs, la mer, la plage, les dunes, les troupeaux de brebis ou de chèvres, les vaches au bord de l’eau, bref, la vie « simple » et au grand air… Et c’est ce qui a donné, ensuite, L’École de La Haye.
L’attrait de Paris
Les peintres de Paris, eux, ne s’adonnaient pas tous à la nature et au grand air. Cela valait pour les « migrants » comme pour les Français de souche.

D’ailleurs, de ce point de vue comme d’autres, la première génération de Néerlandais à Paris était fort différente de celles qui allaient suivre. On connaît surtout le nom d’Ary Scheffer (1795‑1858), Parisien d’adoption (mais originaire de Dordrecht, où le musée municipal, Dordrechts museum, possède pas mal de ses tableaux) et romantique d’inspiration ; d’ailleurs, certaines de ses œuvres sont actuellement montrées à Groningen dans l’exposition « Les romantiques nordiques ». Ce n’est pas pour rien que la maison que Scheffer a habitée dans le IXe arrondissement à Paris est devenu le Musée de la vie romantique. La nature que Scheffer peignait était une nature inventée.

Scheffer était tout l’opposé du peintre pauvre, méconnu, « maudit ». Au contraire, il avait pignon sur rue, il exposait au Salon, ce qui n’était pas donné à tout le monde et, comme beaucoup d’artistes de son époque, il enseignait aussi la peinture dans son atelier.
Un de ses prédécesseurs à Paris, Gerard van Spaendonck (1746‑1822), enseignait, presque trente ans durant, le dessin botanique au Jardin des Plantes. Là, on peut dire qu’il dessinait et peignait « d’après nature », mais dans un but très spécifique et selon des règles précises. Comme Scheffer, protégé de Louis-Philippe et personnalité en vue dans le monde des arts et « le monde » tout court, Van Spaendonck faisait partie des notables. Il était bien en cour, aussi bien sous l’Ancien Régime que sous la Révolution et, plus tard, la Restauration.
Tout autre était la situation de ceux que Paris a su attirer plus tard. Certains réussissaient bien, mais souvent ils avaient, surtout au début, du mal à joindre les deux bouts. Mais autant leurs situations et leurs centres d’intérêt pouvaient varier, ils avaient en commun d’être attirés par le climat artistique de Paris ‑ et la proximité des marchands de tableaux, de plus en plus nombreux et de plus en plus influents, ne gâchait rien.
Il y avait ceux qui, comme Jacob Maris, déjà mentionné, faisaient la navette entre Paris, où ils s’étaient établis et la forêt de Fontainebleau où ils ont découvert ce qui devrait devenir leur sujet principal, la nature, la vie rurale, « simple ». Il y avait ceux qui, comme Johan Barthold Jongkind, trouvaient leur inspiration artistique à la campagne, mais ne pouvaient se passer de la vie parisienne, des cafés, du tohu-bohu, des tournées nocturnes. il y avait ceux qui, comme Kees Van Dongen, dont on connaît surtout l’œuvre « mondaine », ses portraits de belles dames, bien que son art soit beaucoup, beaucoup plus large et comprend aussi un aspect « social », au sens large du terme. Quoi qu’il en soit, Van Dongen était essentiellement un peintre de la vie citadine. La vie des champs ne l’intéressait guère, certainement pas en tant que peintre. Il en était de même de Piet Mondriaan, qui aimait Paris pour son climat artistique (bien qu’il n’ait guère fréquenté ses collègues peintres ‑ c’est du moins ce qu’il prétendait). Mondriaan serait bien resté à Paris, mais la Grande Guerre l’a forcé à rentrer au pays ‑ tout comme une autre guerre, celle de 1870, a chassé Jacob Maris.
George Hendrik Breitner (retenez ce nom), autre cas de figure encore. Il n’a passé que six mois à Paris, et ne semble pas avoir rencontré beaucoup d’autres peintres, mais il connaissait parfaitement leurs œuvres, et s’en est beaucoup inspiré, surtout de l’œuvre d’Edgar Degas. Ce qui est assez étonnant quand on sait que Breitner doit sa renommée (aux Pays-Bas, il est mondialement célèbre) surtout à ses scènes de rue. Et dans ce domaine aussi, il s’en est aussi donné à cœur joie à Paris : des esquisses, des photos, il en fait, et on les montre… Et on y reconnaît les percherons, les omnibus et les coches qu’ils tiraient, les foules sur les trottoirs, les reflets dans les vitrines… tous sujets qui plus tard peupleront bon nombre de tableaux qu’il fera à Amsterdam (et que vous verrez aussi bien au Stedelijk qu’à l’Amsterdam Museum).
Vincent van Gogh, lui, était un bel exemple d’ambiguïté. Peintre des villes ou peintre des champs ? Autant Vincent était venu à Paris pour le climat artistique (et la proximité de son frère Théo, marchand de tableaux), autant il aimait peindre la campagne, on l’a vu assez. Mais s’il s’est laissé inspirer par les peintres de Barbizon, il n’y a jamais mis les pieds lui-même. A Paris, il peignait (entre autres) les vignes de Montmartre, mais ce n’est qu’en Provence qu’il s’est véritablement mué en paysagiste.
Les deux expositions se termineront le 7 janvier. Celle d’Amsterdam ira ensuite au Petit Palais à Paris, du 6 février au 13 mai 2018.
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Autres suggestions

Si vous allez à La Haye pour voir les peintres de Barbizon (c’est ce qu’il y a de plus pressé : elle se termine le 7 janvier…et ne fera pas partie de l’expo du Petit Palais), essayez de combiner cette visite avec celle d’un autre musée. Par exemple le Mauritshuis, dans le centre, spécialiste de l’art du XVIIe siècle, un véritable écrin lui aussi.
Ou alors optez pour le Gemeentemuseum (un beau bâtiment en soi, construit par l’architecte Berlage), qui possède une belle collection de peintures de l’Ecole de La Haye (apparentée à celle de Barbizon), ainsi que de Mondriaan (dont la fameuse Victory Boogie Woogie). Mais il y a aussi quelques expositions temporaires qui valent le coup : celle du sculpteur Julio González, ami de Picasso, ou bien celle sur Paul Poiret et l’Art déco…
Si vous allez au Van Gogh à Amsterdam, vous avez l’embarras du choix au cas où vous voulez combiner votre visite avec celle d’un autre musée.

A deux pas, il y a le Rijksmuseum, bien sûr, avec entres autres la très belle petite exposition du peintre médiéval Jean Malouel (ou Johan Maelwael), ou bien sur Matthijs Maris, frère de Jacob. Encore plus près : le musée privé Moco (Modern Contemporary Museum Amsterdam), avec des Banksy dans la collection permanente, et une exposition temporaire de Roy Lichtenstein.
Et juste en face du Van Gogh : le Stedelijk Museum, pour l’art moderne (à partir du XIXe siècle) et contemporain. Et aujourd’hui, c’est surtout ce dernier musée que je recommande, puisqu’il vient de changer la présentation de la collection. La « Stedelijk Base », développée par Rem Koolhaas et Federico Martelli (et Tata Steel Nederland) selon la conception de Beatrix Ruf, la directrice visionnaire et malheureusement démissionnaire. Mais dans ce « Stedelijk Base », elle brille, fût-ce de façon « posthume ». Quand on y entre, tout d’abord on ne sait pas où donner de la tête. Ira-t-on à droite, ou plutôt à gauche ? Peu importe. Cette présentation combine la chronologie et les différents mouvements artistiques, l’art et les arts décoratifs, la peinture comme la sculpture et la photo comme l’art vidéo, les influences, les associations, les effets de l’histoire sur l’art.
Si l’on monte à la loggia, le regard peut embrasser à la fois Van Gogh, Malevich, des meubles début XXe siècle, Max Beckman, Charley Toorop, Karel Appel, Barrett Newman, et ‑ tiens ! ‑ González, et j’en passe. On reconnaît, on découvre, on associe, on admire. Oui, ça fait un peu fouillis, au début, je comprends que certains associent cette présentation à une foire de l’art. Mais quelle richesse ! Et quel bonheur de s’y promener ! Et pour vous, lecteurs, qui ne pouvez vous y rendre : vous pouvez tout voir en ligne… Quelle chance, non ? Pour en savoir plus, lire ici.
Et pour finir, tout à fait autre chose : si vous n’arrivez pas à vous rassasier des « Hollandais de Paris » ‑ e de leurs amis français ‑ allez donc au Dordrechts museum, où il y a, jusqu’à fin mai 2018, une exposition intitulée Jongkind and friends, avec des œuvres de Monet, Sisley, Daubigny, Boudin, entre autres. Celle-là aussi vaut le coup – comme la pittoresque vieille ville de Dordrecht en général. Je vous en parlerai une autre fois.
