Pauvre Ayaan. Etre acculée à quitter sa seconde patrie comme ça, traquée, humiliée, comme si elle avait commis je ne sais quel crime inavouable. Non seulement ses voisins l’obligent à chercher un nouveau logement (le nième) parce que, menacée elle-même et constamment surveillée, sa présence ‘met en danger la sécurité de l’immeuble’ et – pire, dans ce pays où un sou est un sou – ‘fait dévaluer la propriété’. Le tout, entériné par le tribunal, eh oui.
De plus, comme si cela ne suffisait pas, voilà une émission de télévision qui ‘dévoile’ ce qu’Ayaan Hirsi Ali admet depuis des années à qui veut bien l’entendre: à savoir que le nom que cette Somalienne de naissance a utilisé lors de sa demande d’asile politique, voilà une quinzaine d’années, n’était pas exactement celui de son père, Hirsi Magan, qu’elle fuit depuis qu’il a voulu la marier de force à un cousin inconnu et qu’en plus elle avait donné une fausse date de naissance. Qui n’aurait fait de même, dans les circonstances?
Elle s’en est expliquée maintes fois, Ayaan, jusque dans un livre. Mais non, il a fallu que cette émission la ‘dénonce’ comme fraudeuse – voilà du journalisme d’investigation, ma parole (en fait, à ce sujet, je devrais me taire, car d’une part je n’ai pas vu cette fameuse émission et d’autre part, ceux qui l’ont faite sont des copains que je connais pourtant comme honnêtes ; qu’est-ce qui leur a pris ?).
Conséquence numéro 1 : un parlementaire (populiste) interroge la ministre de l’Immigration, notre charmante Dame de Fer à nous : la pas si lovely Rita Verdonk.
Conséquence numéro 2 : notre Rita n’a fait ni une ni deux. L’emission a eu lieu jeudi dernier, les questions furent posées le lendemain – et avant la fin du weekend, Rita avait fait son enquête : la députée Ayaan Hirsi Ali, sa ‘copine’, membre du même parti libéral que Rita Verdonk, n’avait pas méritée la naturalisation obtenue en 1997, puisqu’elle avait menti. Et il y avait un précédent: une famille irakienne avait vu leur nationalité néerlandaise retirée pour la même raison. Dans ce cas précis, le Haut Conseil avait statué et cela fait jurisprudence. Que ce même Haut Conseil ait mentionné des possibilités d’échapper à cette ‘règle’ qu’il venait d’instituer, Madame Verdonk a voulu l’ignorer. Sa conclusion fut limpide de simplicité: puisque Ayaan n’est pas celle qu’ elle dit être, ce n’est pas elle qu’on a naturalisée. Donc, elle n’est plus néerlandaise mais apatride, et puisqu’elle n’est plus néerlandaise, elle n’est plus députée. Elle est absolument désolée, Rita Verdonk, mais il faut bien que la loi soit la même pour tout le monde, non?
Quelle absurdité. Je ne connais pas les détails du cas de cette famille irakienne (j’ai appris par ailleurs que Saddam ôtait leur nom aux dissidents, comme ça, carrément, donc ce n’est sûrement pas si simple non plus). Je ne peux pas comparer. Mais tout le monde, tout le pays connaît les détails de la vie d’Ayaan – et bien au-delà du pays, puisque le magazine Time l’avait incluse dans la liste des 100 personnes les plus influentes. Cela fait des années qu’elle dérange, Ayaan, qu’elle dénonce cet islam rigide, intolérant, qu’elle a connu elle-même de près et qui lui a fait souffrir jusque dans sa chair. Bien sûr qu’elle est provocante, bien sûr qu’elle est parfois extrême dans ses prises de position – mais ceux qu’elle choque et qui voudraient la faire taire (pour de bon, s’il n’en tenait qu’à certains) n’ont jamais brillé par leur flexibilité, leur sens du dialogue ou leur courage, que je sache. Elle, au moins, elle a le courage de ses opinions – et non seulement elle ose dire tout haut ce dont elle est convaincu, en plus, elle a le cran d’être femme, et d’être belle. Triple crime!
Alors, la population a fait comme Rita, ni une, ni deux. Sondée dare-dare, elle a répondu comme un seul homme: qu’elle parte! Qu’elle quitte la Chambre des Députés, qu’elle quitte les Pays-Bas! Et elle partira. Emue, blessée, mais la tête haute. Elle s’en va aux Etats-Unis, où malheureusement elle va rejoindre un think tank de droite – mais qu’on soit tranquille: elle y sera aussi provocatrice qu’elle le fut ici.
Entretemps, ses confrères et consoeurs parlementaires, tous partis confondus, ont sorti leurs crocs et leurs griffes et se sont précipités sur Rita-de-Fer. Qui d’ailleurs – je dois l’avouer – ne s’est pas laissée bouffer et brigue toujours le leadership de son parti. Bien qu’elle ait dû promettre ‘de réexaminer sérieusement la question de la naturalisation’ d’Ayaan – et éventuellement – si la conclusion restait négative – de lui permettre de refaire une demande de naturalisation… Et la presse? Mes confrères et mes consoeurs? Eh bien, eux qui si souvent se sont fair un plaisir de taper sur Ayaan Hirsi Ali – puisqu’elle s’obstinait à ne pas respecter les règles du jeu – cette fois-ci, ils ont trouvé une meilleure victime à se mettre sous la dent : Rita Verdonk. Alors, hop, ils ont tourné leur veste et ce sont acharnés sur elle – qui, de son côté, s’est dépêchée de se réconcilier avec ses co-ministres et son groupe parlementaire. On a vu quelques couleuvres se faire avaler ça et la. Arrêtons les frais, les élections sont en vue. quoi!
Quel spectacle affligeant. Je ne sais pas ce qui me dégoûte le plus dans tout cela. Je sais seulement que j’ai honte de mon pays, de mes co-citoyens, de mes confrères.
Photo: AFP/Robert Vos
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J’aurais dû écrire « accordé »….. Je n’aime pas faire des fautes !
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Pas de commentaires à votre post. Ca en dit long sur le désintérêt des gens pour sa cause. Bien sûr les medias (on commence à dire les « merdias » en France) ne l’ont pas aidée, sauf le Monde qui lui a accordée une page entière la semaine dernière.
Les ministres et beaucoup d’autres gens moins importants baissent leurs culottes devant les islamistes extrémistes et les moins extrémistes aussi, je pense. L’histoire de Ayaan Hirshi Ali est beaucoup plus « chargée de sens » qu’on ne le pense. Ce n’est pas anecdotique. J’ai aussi parlé d’elle sur mon blog.
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